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Pour tous les besoins pratiques, il devient Dieu. Cette grande évolution parait de nos jours avoir à peu près atteint son terme ; mais la religion ainsi transformée ne répond plus bien à l’idée du genre. L’ensemble de faits dont la société moderne cherche à se débarrasser procède assurément pour une part du besoin religieux, mais il accuse une sensible diminution de son intensité. Cette piété par procuration prouve bien que le sentiment religieux peut s’affaiblir pour un temps, elle n’établit pas suffisamment qu’il se puisse éteindre. Combattre le cléricalisme par la pure négation demeure donc un procédé qui pourrait parfaitement ne profiter qu’à l’adversaire, tandis que le spécifique se trouverait dans une recrudescence de la religion proprement dite, ou pour employer un mot sorti d’usage, que le clergé prenait d’ordinaire en mauvaise part, mais qui seul rend exactement ma pensée, dans un réveil de la spiritualité. Il est vrai que ce remède-là n’est pas à la disposition du premier venu.

Revenons sur nos pas, et résumons en quelques mots la substance de cette étude.

La religion, la philosophie et la science ne sont pas trois manières consécutives de résoudre le même problème. La science est limitée par la possibilité de l’expérience. Toutes les méthodes, tous les procédés intellectuels concourent à ses progrès ; mais, pour figurer dans la science à titre de vérité, toute proposition doit avoir subi le contrôle de l’expérience. Dès lors, la science est bornée au phénomène. Elle n’atteint ni le commencement ni la fin, ni le fond de rien. En revanche, elle est démontrable et d’une certitude universelle.

La philosophie est l’expression du complet déploiement de nos facultés intellectuelles. Elle conçoit l’idée de la science, elle en trace les divisions et les méthodes, elle en constate les limites. Elle s’efforce de répondre aux questions que la science pose nécessairement sans les résoudre, et dont les besoins de l’âme et de la vie ne permettent pas de faire abstraction. Elle na disparaîtra donc pas ; mais, au delà du champ de l’expérience, l’esprit ne connaît pas assez ses propres lois pour que la démonstration de thèses dont la vérification par les sens est impossible s’impose nécessairement à tous les esprits. C’est pourquoi il existe plusieurs philosophies.

La religion est un acte par lequel l’homme s’efforce de se mettre en rapport de fait avec le principe de son être que la philosophie cherche à concevoir. La religion ne consiste pas en représentations et n’est pas un état de l’intelligence ; c’est une fonction concrète, où le sentiment, la pensée et la volonté sont également intéressés et ne se séparent point. Les opinions relatives à son objet peuvent s’exposer et se communiquer par le langage ; mais les opinions religieuses ne