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sur l’opinion des autres membres de la tribu. » Chez les Chinouks « les moyens qu’un chef possède de rendre service a ses voisins et la popularité qu’il acquiert par ses services sont à la fois la base et la mesure de son autorité ». Lorsqu’un Dacotah « veut faire du mal à quelqu’un, le seul moyen qu’un chef ait de le détourner de ses mauvais desseins, c’est de lui donner quelque chose ; le chef n’a aucune autorité pour agir au nom de la tribu et ne l’oserait pas. » Enfin chez les Cricks, plus avancés pourtant par l’organisation politique, l’autorité des chefs élus « dure tant qu’ils se conduisent bien. La désapprobation du peuple est une barrière que leur puissance ne peut surmonter. » En Asie, les bais ou chef des Kirghis « n’ont guère d’autorité sur eux soit pour le bien soit pour le mal. On montre quelque déférence pour leur opinion en considération de leur âge et de leur sang, mais c’est tout. » Les Ostyaks témoignent du respect, dans toute l’acception du mot, à leur chef, s’il est sage et vaillant ; mais cet hommage est volontaire et ne repose que sur la considération personnelle. Chez les Nagas, dit Butler, « les ordres des chefs ne sont obéis qu’autant qu’ils s’accordent avec les désirs et la convenance de la nation, » II en est de même dans certaines parties de l’Afrique, par exemple chez les Hottentots Korannas. « À la tête de chaque clan ou kraal est un chef ou capitaine ; c’est d’ordinaire celui qui possède le plus ; mais son autorité est extrêmement limitée, et il n’obtient l’obéissance qu’autant qu’il mérite l’approbation générale. » Même chez les Cafres, dont l’organisation politique : est plus avancée, l’autorité rencontre des limites analogues. Le roi « fait des lois et les exécute d’après son unique volonté. Il existe pourtant chez le peuple une puissance en état de contrebalancer celle du roi ; il ne gouverne que tant qu’on veut lui obéir, » On l’abandonne s’il gouverne mal.

Dans sa forme primitive, la puissance politique est donc le sentiment de la communauté, opérant par une institution établie par elle formellement ou non. Sans doute, dès le début, le pouvoir du chef est en partie personnel : sa force son courage ou son adresse supérieure le mettent en quelque sorte en état d’imposer sa volonté personnelle. Mais, d’après le témoignage des faits, sa volonté personnelle n’est qu’un faible facteur ; et l’autorité qu’il exerce se mesure à la fidélité avec laquelle il exprime la volonté de tous.

Si le sentiment public, qui agit d’abord par lui-même et plus tard en partie par l’intermédiaire d’un agent, est jusque un certain point le sentiment spontanément formé des intéressés, il est bien plus encore l’opinion qui leur est imposée ou prescrite. En premier lieu, la nature émotionnelle qui détermine le mode général de conduite