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h. spencer. — des formes et des forces politiques.

provient des ancêtres ; c’est un produit de toutes les manifestations passées de l’activité ; et en second lieu les motifs spéciaux qui, directement ou indirectement, déterminent les lignes de conduite, son inspirés dans les premiers temps de la vie par les anciens, et mis au service des croyances et des usages qui sont l’héritage de la tribu. Le sentiment directeur est, en un mot, le sentiment accumulé et organisé du passé.

Il n’y a qu’à se rappeler la mutilation à laquelle, à un âge fixe, chaque membre de la tribu doit se soumettre : l’arrachement des dents, les balafres, le tatouage, la torture, et l’impossibilité d’éviter d’obéir à ces coutumes impérieuses pour voir que la force directrice qui existe avant que l’appareil de l’autorité politique soit institué, et qui s’exprime plus tard par cet appareil, n’est autre que l’opinion formée graduellement d’innombrables générations précédentes. Je me trompe, ce n’est pas l’opinion qui, à parler rigoureusement, n’est qu’un produit intellectuel absolument impuissant, c’est l’émotion associée à l’opinion. Voila ce qui constitue partout au début la force directrice.

Les Tupis croient que, « s’ils s’écartaient des coutumes de leurs ancêtres, ils seraient détruits. » Voilà une manifestation définie de la force avec laquelle cette opinion transmise exerce son influence. Chez l’une des plus grossières tribus des montagnes de l’Inde, les Juangs, les femmes tinrent longtemps à conserver leurs paquets de feuilles, dans la croyance qu’il était mal de changer d’usage. On nous apprend que, chez les Hottentots Korannas, « lorsque les anciens usages ne sont pas en jeu, chacun parait agir d’après ce qui lui semble juste. » Bien que les chefs damaras « aient la puissance de gouverner arbitrairement, ils ne laissent pas de vénérer les traditions et les coutumes de leurs ancêtres. » D’après Smith, « on ne saurait dire que les Araucaniens aient des lois, bien qu’ils aient beaucoup d’anciens usages qu’ils tiennent pour sacrés et qu’ils observent rigoureusement. » Selon Brooke, chez les Dayaks, la coutume paraît simplement être devenue une loi, et l’infraction à la coutume est punie d’une amende. Chez quelques clans des Malgaches, « innovation et mal sont inséparables, et l’idée de progrès est absolument inadmissible. »

L’autorité des usages héréditaires n’est pas seulement aussi forte chez les groupes d’hommes sans organisation politique ou avec une faible organisation, qu’elle l’est chez les tribus et les nations avancées elle est plus forte. Suivant la remarque de sir John Lubbock, « nul sauvage n’est libre. Partout la vie du sauvage est réglée par un système compliqué et en apparence fort incommode de coutumes