Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 11.djvu/299

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
295
P. TANNERY. — l’éducation platonicienne

théorie y trahit une connaissance incomplète du sujet et l’incertitude de la science sur un terrain relativement neuf à l’époque où fut composé ce livre. On peut donc y attribuer beaucoup plus qu’ailleurs à l’œuvre personnelle d’Euclide ; mais on doit remarquer que, dans le dernier théorème de ce livre, le géomètre alexandrin nous a conservé, au moins comme fond, l’antique démonstration pythagoricienne de l’incommensurabilité de la diagonale et du côté du carré, qui se faisait par une réduction à l’absurde, en arrivant à prouver qu’un même nombre serait à la fois pair et impair.

Après ce que nous avons dit plus haut sur les connaissances arithmétiques des Grecs au temps de Platon, il est inutile que nous nous étendions sur le contenu des livres VII, VIII et IX. D’après les indications de Proclus, l’ordre historique, et le fait constant que les livres des solides reposent sur une première rédaction d’Eudoxe, nous inclinons à penser que c’est à Théétète que doit être attribuée la composition primitive de cette partie arithmétique des Éléments.

Si d’ailleurs, de même que pour les autres parties, cette composition primitive dut subir, dans l’école platonicienne, des remaniements successifs qui amenèrent progressivement la théorie à une forme prête à recevoir, à Alexandrie, la dernière touche et le poli définitif, nous considérons comme indubitable que le caractère principal des démonstrations n’a pas changé depuis l’origine, et qu’on y a constamment employé des lignes pour figurer aux yeux les nombres sur lesquels portait la démonstration.

Ce point mérite quelque attention, car aujourd’hui cet emploi nous paraît une superfétation absolument inutile. En effet, pour désigner ces lignes dans le raisonnement, les anciens se servaient de lettres, à très peu près comme nous nous en servons nous-mêmes pour représenter symboliquement les nombres. À quoi bon dès lors un second intermédiaire ?

Il semble que l’inutilité actuelle d’une représentation figurée soit le signe d’un progrès réalisé par l’humanité depuis cette époque. L’évolution séculaire nous facilite l’abstraction à un degré que Platon eût envié sans doute ; elle nous évite un échelon indispensable pour ses contemporains. Seulement ce progrès ne doit pas être oublié quand nous cherchons à nous expliquer ce qu’il dit sur les questions relatives à ce sujet, sur les ἔιδη μαθηματικὰ par exemple, car autrement nous serions exposés à nous méprendre et à recourir à de malencontreuses conjectures.