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choses l’une ou la force n’est rien de plus que la cause « inconnaissable » de la matière et du mouvement par le moyen desquels elle dévient manifeste, auquel cas matière et mouvement en diront assez par eux-mêmes ou plutôt nous en apprendront tout ce qu’il peut en être connu ; ou bien la force est un facteur hétérogène au mouvement, à l’étendue ; et ce facteur se surajoute aux deux autres. Si son intervention est constante, au moins devrait-on nous dire en quoi elle consiste. Si au contraire la force n’intervient qu’à de certains moments, son apparition sera ou capricieuse, et alors plus de science, ou soumise à des lois, et alors une science à peine digne de ce nom, car de ces lois nous ignorons tout[1].

Dans un quatrième chapitre, M. Guthrie abandonne résolument la formule de M. Spencer et propose de lui substituer cette autre : « L’évolution est une intégration pendant laquelle chaque existence passe d’une homogénéité indéfinie et incohérente à une hétérogénéité définie et cohérente et pendant laquelle les activités subissent une transformation analogue. » L’auteur, on le voit, est surtout préoccupé de tout ce qui vit et a conscience de soi-même ; et c’est par intérêt pour cette partie de l’univers qu’il essaye d’un amendement. Cet amendement, nous dit-il, va laisser intactes les explications données par M. Spencer sur le monde de formation des corps célestes, sur l’évolution géologique. D’un côté, on n’aura donc rien à perdre de l’autre, en revanche, on aura tout à gagner. Voudra-t-on, par exemple, expliquer tes sociétés animales, la naissance et les progrès du langage ? On pourra parier d’c intégration comme auparavant, mais on ne dira plus « intégration de matière » Les buffles se réunissent en troupeaux : est-ce là un phénomène d’intégration ? Sans aucun doute : d’intégration de matière ? À la rigueur. Cette intégration a-t-elle pour cause. comme le voudrait M. Spencer, les rapports de grandeur, de forme, etc. ? en un mot est-elle le résultat unique de facteurs extensifs et mécaniques ? Est-elle accompagnée d’une perte de mouvement ? On ne peut le dire. Voici un autre exemple. Le langage naît ou plutôt se forme par évolution ; que toute évolution soit une intégration, cela est admissible. Reste à savoir de quelle nature est l’élément qui s’intègre ; ce n’est point de la matière. On peut en dire autant de l’évolution de la science, des arts, de l’évolution de la société, etc. Sans doute, la nouvelle formule est plus vague que la précédente, mais elle est plus générale, elle s’applique à tout ce qui est et par là satisfait davantage aux conditions exigées par M. Spencer[2].

Il est dit, dans l’énoncé nouveau, que « les activités subissent une transformation analogue ». Ce terme « activités implique un troisième facteur, la conscience ou l’état de conscience (Feeling). Or on sait à quelle condition doit satisfaire la formule pour être définitivement ac-

  1. Cf. Guth., p. 130-131.
  2. Cf. Guthrie, p. 135 et suiv.