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ANALYSESmalcolm guthrie. — On Spencer’s Formula.

explication. Regardons-y de plus près, et nous verrons que cette distance est la même qui sépare l’un de l’autre le positiviste et le métaphysicien. Donc adresser à M. Spencer le reproche de vouloir non seulement lire le grand livre du monde chapitre par chapitre, mais de vouloir encore marquer les transitions, c’est lui reprocher de se complaire aux spéculations métaphysiques. D’autres que lui s’y complaisent, et nous réclamons pour ces grands esprits même blâme et même fin de non-recevoir.

Cette critique de M. Malcolm Guthrie pèche à nos yeux par excès de généralité. Allez aux détails, et l’impression sera la même. Presque toujours c’est moins M. Spencer qui est en cause que la doctrine dont il est à nos yeux l’un-des plus illustres représentants. Ainsi la nécessité de prendre son point de départ dans un état où la matière n’est déjà plus parfaitement homogène s’imposera, ce me semble, à tout partisan de l’évolution, de même l’explication de la vie par la transformation lente et insensible des molécules inorganiques, l’apparition de la conscience à un moment donné de l’évolution biologique, dont elle dépendrait comme un effet dépend de sa cause ainsi : et surtout l’affirmation d’un substratum inconnaissable « sujet » de l’évolution elle-même. M. Guthrie s’étonne que dans la philosophie le noumène ait trouvé sa place. Le moyen qu’il en soit autrement ? Bon, gré, mal gré, croire à l’évolution, c’est croire à l’existence de quelque chose qui évolue, ou, si l’on veut, qui devient autre que lui-même tout en restant ce qu’il est. Que l’on soit Héraclite ou M. Herbert Spencer, la logique d’un système a partout les mêmes exigences, et la doctrine présentera toujours avec le panthéisme matérialiste d’inévitables analogies. D’autres que nous ont mis en lumière la contradiction qui lui est fondamentale ; d’autres que M. Spencer ne reculeront pas devant elle et ne s’en embarrasseront guère plus que lui. Il n’est pas de système qui n’impose ses sacrifices.

Toutefois, si M. Spencer est d’accord, sur les principes, avec tous les partisans de l’évolution, il n’apporte pas dans le développement de sa philosophie les préoccupations d’un métaphysicien pur. Sa façon de croire à la métaphysique lui est toute personnelle, et il paraît y voir moins une science qu’une méthode : témoin sa définition de la philosophie. D’abord, après avoir reconnu qu’il est par delà ou « par-dessous » les phénomènes un noumène inconnaissable, il l’abandonne à la religion la philosophie doit commencer en deçà, c’est-à-dire où finit l’absolu. Elle aura pour objet non plus l’étude des substances et des causes, c’est-à-dire la métaphysique, mais seulement l’histoire de l’univers depuis ses origines connaissables. Autrefois, on cherchait le principe premier des choses, maintenant on cherchera la loi suprême, « l’axiome éternel dont la formule retentit à travers le monde, comme l’écrivait un jour un philosophe de talent. Cet « axiome éternel » dans la mesure où l’énoncé nous en est accessible, se rapprocherait ou peu s’en faut, selon M. Spencer, de cette formule, qui, toute