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contestable qu’elle paraisse, n’en est pas moins : admirablement précise. « L’évolution est une intégration, etc. » Que postule M. Spencer ? L’évolution. Que se propose-t-il d’en chercher ? La formule. Et quelle est sa méthode pour la découvrir ? L’expérience d’abord, puis l’hypothèse ; par ce mot, il convient d’entendre l’hypothèse scientifique, qui n’emprunte ses matériaux qu’à l’observation et à l’expérience. Et main-’ tenant, si l’on analyse la formule, quelle idée s’en dégage, idée directrice du système ? C’est l’idée que dans l’évolution tout se fait par le passage continu et indéfini d’une hétérogénéité moindre à une hétérogénéité de plus en plus grande.

Autre question à laquelle l’auteur a touché, mais qu’il fallait approfondir : est-il vrai, oui ou non, qu’à toute intégration de matière corresponde une dissipation de mouvement ? M. Guthrie nous-apprend que M. Spencer signale une exception à la règle, dans les composés de l’azote. Fort bien ; reste à savoir ce que nous devons en penser pour notre propre compte, et si la loi générale ne reçoit point, dans le détail, d’autres et de plus graves démentis.

Il est pourtant un côté de la doctrine qui méritait attention et sur lequel M. Guthrie a bien fait d’insister. Faire surgir la conscience de l’inconscient est impossible ; de zéro l’on ne tirera jamais rien, pas même l’infiniment petit. De plus, considérer l’évolution psychique comme un effet de l’évolution biologique, c’est par avance, et dans la théorie de M. Spencer, assimiler la conscience à un mode da mouvement ; c’est vouloir qu’à une perte de mouvement dans les molécules cérébrales corresponde une manifestation de conscience, ce qui est absurde. M. Guthrie le déclare, mais, ce qui est plus grave, M. Spencer le reconnaît aussi, et cependant M. Spencer est de l’école de l’évolution, et cependant il admet que la conscience ne peut éclore avant que leterrain lui soit préparé et qu’elle ait trouvé pour s’établir des bases physiques et biologiques. Dans ce cas, on est d’accord avec l’expérience mais dire que l’ordre psychique se superposer à l’ordre biologique, c’est constater un fait et non l’expliquer. M. Spencer ne va point jusqu’à reconnaître que le monde de la conscience est « supérieur » au monde de la vie ; entre les mouvements, du cerveau et les successions des états de conscience, il affirme un parallélisme ; il suffit néanmoins que le terme parallélisme prenne ici la place du terme transformation. Pressez la thèse, et vous en ferez sortir toute autre chose que l’évolutionnisme ou le matérialisme ; je sais même des spiritualistes qui distinguent l’âme du corps uniquement par cette raison que les phénomènes de conscience et les phénomènes de mouvement’ sont hétérogènes l’un à l’autre.

Comment des lors concilier cette thèse avec la doctrine générale telle qu’on nous l’expose dans les Premiers Principes ? À prendre les choses rigoureusement, la contradiction est formelle. Si la pensée est hétérogène au mouvement, il est malaisé de comprendre qu’elle en sorte, et, si elle n’en sort décidément point, la philosophie de l’évolution