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ANALYSESmalcolm guthrie. — On Spencer’s Formula.

se trouve aux prises avec des difficultés insolubles. Nous n’osons penser, pour notre part, que M. Spencer accepte le reproche de contradiction. Le fait est, qu’il ne sait rien de l’évolution psychique, ou du moins, qu’il en ignore le comment ; de même pour la naissance des êtres organiques. Néanmoins il lui répugne d’admettre un commencement absolu de la vie ou de la conscience ; rien de plus. Il aurait, ce nous semble, convenu de rechercher la source de ces démentis plus apparents que réels, peut-être, et qui, dans le détail, se rencontrent, en assez grand nombre pour arrêter un moment notre réflexion. Peut-être, en cherchant, M. Guthrie aurait trouvé ce qui, selon nous, est l’un des caractères parti. culiers de ce grand esprit, l’un des plus vastes et des plus puissants de notre siècle. En M. Herbert Spencer, deux hommes se rencontrent de tendances contraires et qui se complètent plus souvent qu’ils ne se combattent, le métaphysicien et le positiviste. Le second sait, grâce au premier, que la science expérimentale ne suffit pas aux ambitions de l’intelligence. Le premier sait, par le second, qu’on ne peut rien fonder de durable qui ne repose pas sur l’expérience. Partagé entre les aspirations de son génie qui le poussent à l’aventure et les habitudes de discipline intellectuelle puisées au commerce de la science, qui le retiennent, comme malgré lui, au seuil des laboratoires, s’il ne perd jamais l’équilibre, du moins il ne sort, presque jamais, non plus, d’un état d’équilibre instable. De là des réserves qui étonnent à côté de témérités qui inquiètent ; de là, entre le métaphysicien et le positiviste, des compromis généralement inattendus.

Rien de tout cela M. Guthrie ne l’ignore, et nous en avons la preuve. Mais tout cela pouvait être dit au lieu d’être sous-entendu, et sans nuire, tant s’en faut, à l’unité du travail. Pas plus que M. Spencer (au dire de M. Guthrie), M. Guthrie n’a tenu sa promesse. Ainsi, l’on s’attend à une critique de M. Spencer, et l’on ne trouve en somme qu’une suite d’arguments contre la doctrine de l’évolution, bien choisis d’ailleurs et clairement exposés. De plus, on ne sait trop quelle est la doctrine de l’auteur ; a-t-il fait contre la métaphysique et les métaphysiciens le serment d’Annibal ? est-ce un positiviste ? a-t-il contre la substance les aversions du criticisme contemporain ? Il ne conçoit point l’absolu ; il refuse à tout philosophe l’aptitude à le concevoir. Il nie l’infini ; il nie l’existence de réalités situées par delà les phénomènes. Je sais bien que la négation est une forme indirecte de l’affirmation ; mais entre nier plusieurs thèses et coordonner ces négations en système il y a plus qu’une nuance, et nous voudrions savoir comment M. Guthrie entend les coordonner.

Quoi qu’il en soit de ces réserves ou de ces regrets, l’auteur nous a donné un livre de conscience et de bonne foi ; c’est beaucoup d’aimer à dire ce que Ion pense, de savoir le dire, et surtout, de savoir ne pas accepter aveuglément les réputations toutes faites. Disons encore que M. Guthrie est habile à lire un texte, à le résumer, à le discuter et à conclure. Ses arguments portent et plaisent, non qu’ils offrent partout