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autre particularité, le sentiment correspondant, quoique nous sachions que cette expression lui est habituelle. Exemples d’illusions actives : l’amant qui dans les yeux d’une maîtresse vulgaire voit un reflet de ses aspirations favorites le poète qui trouve exprimés dans la nature ses sentiments de joie ou de tristesse ; la même musique est sentie de la manière la plus différente par diverses personnes.

Passons maintenant aux illusions de la conscience proprement dite. L’auteur remarque que nous avons une tendance à traduire nos sentiments internes par des termes d’impressions externes. Exemples : cette idée m’a frappé ; ce chagrin est un fardeau ; tendances du sauvage et de l’enfant à considérer leurs pensées comme des voix internes. — L’observation intérieure, lorsqu’elle s’applique à un sentiment actuel et intense, est au-dessus du soupçon ; mais rarement le cas est aussi simple. L’auteur énumère les diverses causes qui peuvent la vicier. Il semble bien simple de pouvoir décider si l’on s’amuse, et cependant très souvent on se trompe sur ce point. C’est ainsi qu’on a dit que les hommes vont en société moins pour avoir du plaisir que pour croire qu’ils en ont, et, pourvu qu’ils ne soient pas blasés, ils se trompent eux et les autres. La vie sociale nous impose aussi certains sentiments convenus qu’on finit par prendre pour réels. Les grandes illusions de la conscience se rencontrent surtout dans la vie morale et la vie religieuse. Opposition frappante entre l’opinion de certains philosophes et des théologiens : ceux-ci ont souvent soutenu qu’il est bien difficile dans nos sentiments de distinguer le vrai du faux ; ceux-là considèrent le verdict de la conscience comme ayant une suprême autorité.

Les illusions de l’observation intérieure sont remarquables surtout lorsqu’elle s’applique aux états réputés simples, mais dont la simplicité est seulement apparente. Ainsi, lorsqu’on dit que l’idée d’espace ne contient aucune représentation de la sensation musculaire, cette affirmation n’a d’autre fondement que l’impossibilité d’analyser clairement cette idée. L’auteur trouve que, après une certaine pratique, il reconnaît beaucoup mieux cet élément qu’à l’origine, ce qui répond à ce que dit Helmholtz relativement aux sensations élémentaires. M. Sully termine en espérant que, avec l’évolution de la race, l’observation intérieure acquerra plus d’exactitude comme instrument de recherche.

J. Venn. Notre contrôle de l’espace et du temps. — En général, les philosophes se sont fort occupés de l’origine et de la nécessité de ces deux notions ; mais ils ont négligé la tâche plus humble de déterminer la nature et les limites de notre contrôle actuel sur chacune de ces notions. Cela est pourtant fort important, au moins pour le logicien, car presque toutes nos connaissances résultent d’inférences, et le résultat de toute inférence est réductible à quelque changement réel ou imaginaire de notre position dans l’espace ou le temps. Prenons un exemple. J’ai un arbre au bout de mon jardin ; je désire en déterminer l’espèce et l’éloignement ; à l’aide d’une mesure ou simplement en marchant, je détermine l’un ; en examinant les feuilles et les fleurs, je détermine