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ports, limitée sous d’autres, reste intacte en substance ; qu’elle nous fournit la clef des problèmes liés au souverain bien ; et que en dépit des contre-sens et des censures dont elle a été l’objet, il faut dire d’elle après tout ce que Balzac disait de Rabelais : C’est la bonne philosophie, à laquelle il faut toujours revenir. »

Dans les précédentes analyses du Mind, les lecteurs ont trouvé un résumé des diverses critiques qui ont été adressées à M. Herbert Spencer au sujet de son nouveau livre The data of Ethics[1]. L’auteur, dans ce numéro, répond en une fois à tous ses critiques.

D’abord à M. Sidgwick, qui l’avait accusé d’en revenir au point de vue téléologique, qu’il avait complètement condamné dans les Principes de biologie. H. Spencer répond qu’il y a deux manières d’employer la téléologie : l’une arbitraire, l’autre scientifique, l’une légitime, l’autre illégitime. Dans son ouvrage, comme dans tout traité de morale, les fins sont constamment en vue ; mais dans, le chapitre « Vue physique de la morale », il a suivi à cet égard la méthode la moins téléologique qui ait jamais été suivie par un moraliste, puisque l’évolution qui conduit à la conduite la plus élevée est considérée comme un processus réductible à des termes de matière et de mouvement. Si j’avais adopté la doctrine du sens moral, ou d’une obligation surnaturelle, ou de la sympathie, j’aurais pu être accusé d’une téléologie vicieuse. Mais mon interprétation rejette tout cela, puisque je regarde ces facultés utiles au bien-être social, comme produites elles-mêmes par la vie sociale et comme ayant à leur tour contribué peu à peu à l’améliorer.

M. Sidgwick reproche à l’auteur de n’avoir pas assez tenu compte du pessimisme. M. Spencer répond qu’il a posé la question sur un terrain commun aux optimistes et aux pessimistes, à savoir : que la vie est bonne ou mauvaise selon qu’elle apporte ou n’apporte pas un surplus de plaisir. Quant aux raisons en faveur de l’optimisme, M. Sidgwick les ignore, parce qu’il ignore tout ce qui a été dit sur le processus universel de l’adaptation. Il est de l’école des moralistes qui pensent que la vérité ou la fausseté des doctrines morales peut-être déterminée sans étudier les lois de la vie. Il veut aussi qu’on ne prenne pour guide que « l’humble et imparfaite méthode empirique » . Cette conception est insuffisante. C’est la conception de l’état social idéal, du bien ultime, qui doit nous servir à découvrir le bien immédiat et à corriger, au besoin, nos moyens empiriques d’agir. Par exemple, dans l’éducation morale de l’enfant, on peut obtenir des résultats immédiats par l’attrait des bonbons, par la menace, etc. La mère suit une méthode empirique dont elle aperçoit les résultats immédiats ; mais elle ne se doute pas toujours du résultat ultime qui doit s’ensuivre. N’en est-il pas de même pour l’humanité adulte qui subit une éducation par la discipline sociale ? La thèse de M. Sidgwick n’est soutenable que dans cette hypothèse que

  1. Traduit (dans la Bibliothèque scientifique internationale) sous ce titre : Les bases de la morale évolutionniste.