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j. delbœuf. — le dernier livre de g. h. lewes

celle-là, en connexion avec toutes deux, se place la logique des images.

Les jugements sont ou intuitifs ou critiques, suivant que l’on a ou que l’on n’a pas conscience des prémisses. Le jugement 2 + 2 = 4 peut être intuitif, de même que pour un chimiste peut l’être cet autre : Le sucre est un carbohydrate. Un reptile reconnaît sa nourriture ; un chien la devinera à l’aspect du panier qui la contient ordinairement ; un enfant pensera à une friandise quand on lui en dira le nom ou qu’on lui en remettra le prix en main. Voilà des exemples gradués de logique intuitive. Inutile de dire que la logique animale n’est jamais critique, qu’elle est toujours intuitive (p. 228). Je dois m’arrêter sur cette dernière assertion. Elle se reproduira dans la suite. Je ne la crois pas exacte. D’abord, au point de vue de l’évolution, je ne m’explique pas facilement le passage de la logique intuitive à la logique critique, si celle-ci n’est au moins en germe dans celle-là. À quel moment la critique se développe-t-elle chez l’homme, puisque l’enfant est assimilable à l’animal, et que l’ancêtre de l’homme est un primate anthropomorphe ?

Mais il y a plus. L’observation attentive des animaux, et principalement des animaux supérieurs, dénote chez eux des opérations mentales très compliquées, accompagnées de suspension de jugement, de délibération, du sentiment de la contradiction, d’anticipation logique ou morale.

J’ai possédé un barbet extrêmement intelligent qui m’a fourni nombre de faits des plus curieux. J’en citerai trois seulement. Le premier est déjà connu, ayant été observé aussi par M. Romanes sur son propre chien, et cet auteur en ayant fait paraître la relation, entre autres, dans la Revue scientifique. Je faisais danser une bulle de savon sur un tapis. J’ordonne à Mouston — c’était le nom de mon chien — de me l’apporter. Il se précipite, met la patte dessus. — Rien ! Mouston me regarde ébahi et parcourt des yeux toute la chambre. Je souffle, loin de ses regards, une seconde bulle, qui se met à rebondir. Mouston croit naturellement avoir affaire à la première, il se précipite de nouveau. Nouvelle disparition. Le chien, stupéfié, fouille partout, pénètre fiévreusement sous tous les meubles, montrant manifestement le trouble de son esprit. Pendant qu’il est dans l’impossibilité de me voir, je projette une troisième bulle sur le tapis. L’animal, l’apercevant, s’avance vers elle cette fois à pas comptés. Mais, ô terreur ! au moment où il croit la saisir, elle s’évanouit sans laisser de trace. À ce moment, il devint pour ainsi dire fou. Il parcourut avec rage l’appartement, jetant vers moi, à maintes reprises, de longs regards interrogateurs ; il aboyait, bondissait. À la quatrième bulle, sa fureur