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ne connut plus de bornes ; mais il ne chercha pas à la saisir ; il se contenta d’aboyer contre elle avec tous les accents de la colère, jusqu’à ce qu’elle s’éclipsât à son tour. J’aurais voulu recommencer le jeu, et je l’ai tenté mais, à mon grand regret, je dus m’en abstenir, parce que l’état dans lequel je mettais mon chien était vraiment inquiétant. Dès que je prenais le vase contenant l’eau de savon, il n’écoutait plus ma voix. Cet état était évidemment dû chez lui à une contradiction mentale entre le fait et cet axiome d’expérience : Tout ce qui est coloré est tangible. L’inconnu se dressait devant lui avec ses mystères et ses menaces, l’inconnu, source de la peur et origine des superstitions. C’est ainsi que le successeur de Mouston, chien de garde croisé de chien de berger, aboie chaque fois qu’un certain store extérieur s’abaisse ou se lève sans qu’il voie la personne qui tire le cordon. Il se tait dans le cas contraire. Or qu’est-ce au fond que cet inconnu terrifiant ? C’est tout ce qui apparaît avec les caractères d’une puissance dont notre expérience n’a pas la mesure. Avec le temps, l’inconnu devient connu. Comment ? Par la faculté critique qui donne à chaque chose ses proportions. Toute connaissance, quelle qu’elle soit, implique donc l’usage de cette faculté.

Je passe au second fait. Quelqu’un me parlait d’un chien qu’il possédait et auquel il avait appris à jouer à cligne-musette. La chose me semblait assez extraordinaire, et j’en-fis, séance tenante, l’essai avec mon barbet. En moins d’un quart d’heure, il fut parfaitement au courant du jeu. Le jeu consistait en ceci. Je cachais un mouchoir de poche ; il devait le trouver et me le rapporter. Pour dérouter son odorat, je promenais le mouchoir de place en place avant d’adopter une cachette. Pendant toutes ces manœuvres, le chien restait consciencieusement immobile le nez contre le mur, et réprimait sa curiosité jusqu’au moment où je disais : cherche ! Il prenait à ce jeu le plus vif intérêt, et c’est moi qui m’en lassai le premier.

Voici le troisième fait. J’avais pris l’habitude de donner à Mouston des os pendant le dîner. Il s’en allait les croquer dans la cour. Si cependant l’os était trop volumineux, je quittais ma chaise, descendais avec lui et le fendais d’un coup de hache sous ses yeux. Un jour, Mouston, qui avait accouru comme à l’ordinaire avec son os, revient un instant après, le tenant dans sa gueule, et se plante devant moi en remuant la queue. Je le renvoie ; il s’obstine à résister. Après plusieurs injonctions inutiles, je crois enfin comprendre ce qu’il me veut. Je me lève ; aussitôt l’animal se met à gambader devant moi d’un air tout joyeux. On a deviné ce qu’il voulait ; l’os était trop gros à son gré. Je ne puis m’empêcher, quand je me représente l’air que prenait mon chien en me tendant vainement son os, de