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tionnaient et tissaient entre ses colonnes leurs toiles merveilleuses que les brouillards de l’automne venaient charger de perles étincelantes. Je passais des heures entières à les regarder établir leur piège, le raccommoder, le débarrasser des cadavres ou des corps étrangers qui le dé. formaient et le déparaient. Un jour, une idée de gamin traverse mon esprit : Si je les taquinais un peu pour voir ? Je découpe et frange une bande de papier de deux à trois centimètres de long et la pose au milieu de la plus belle toile. La propriétaire se mit aussitôt en devoir de s’en débarrasser. Ce n’était pas chose facile. Elle commença par détacher chaque fil à l’un des bouts, avança ainsi peu à peu ; mais, quand elle s’approche de l’autre bout, le papier bascule et s’enchevêtre de nouveau. C’était à recommencer. Après s’y être prise de bien des façons, elle finit cependant par trouver le moyen de le décoller entièrement, et, à l’aide de ses pattes de devant et de ses mandibules le tenant suspendu à quelques millimètres de distance de sa toile, elle le laissa tomber. Malheureusement, une brise le repoussa dans le filet. Nouveau travail, nouveau coup de vent, nouveau mécompte. Après deux ou trois tentatives infructueuses de ce genre, elle imagina enfin de descendre avec le papier jusqu’au point le plus bas de son édifice aérien, et seulement là de le lâcher dans le vide. La descente ne se fit pas sans accroc, mais le but fut atteint.

Je ne m’en tins pas là. Je répétai plusieurs jours de suite la même taquinerie. Mais à la longue, instruite par l’expérience, l’araignée ne recommençait plus les premiers et vains essais de son début. Elle recourait tout de suite au procédé qui lui réussissait, et, dès lors ses manœuvres, désormais toujours les mêmes, cessèrent de me présenter rien d’imprévu ni d’amusant.

Comme je travaillais au présent article, l’idée me vint de reprendre mes observations, cette fois-ci dans un jardin, et j’ai pu les compléter. Par parenthèse, j’ai remarqué que la toile des épéires est assez rarement dans un plan absolument vertical, — ce qui s’explique tout naturellement par la position accidentée des points d’attache, — et que l’araignée se tient toujours vers la face qui regarde le sol, position qui a pour effet, entre autres, de tendre les fils.

J’ai en outre constaté des différences de caractères chez ces araignées. L’une se précipitera immédiatement sur l’objet et ne prendra point de repos qu’elle ne fait enlevé. C’est une vaillante. Telle autre, après en avoir reconnu la nature, viendra se replacer philosophiquement au centre de son filet. Celle-ci se sauve : c’est une poltronne ou une superstitieuse. Celle-là entre dans un véritable accès de rage ; elle saisit le papier entre ses mandibules, l’arrache avec violence, fait d’énormes brèches dans sa toile, tombe et dégringole