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bryon d’or[1] ; mais, par suite, il pouvait, comme Agni, comme l’Embryon d’or, paraître à l’origine des choses et, par un développement oblique des idées que son nom éveille, mais qui dans l’abord ne lui étaient pas essentielles, prêter à la cosmogonie le plus fécond de ses principes. Les Védas ont les rudiments d’un système de ce genre Kâma prend la place de l’Embryon d’or comme premier-né des eaux :

Enveloppé dans la nuit au début,
tout cet univers n’était qu’une onde indistincte :
l’Un formidable, enveloppé dans le vide,
naquit alors par la puissance de la chaleur[2].
Oui, l’Amour, voilà l’être qui naquit au début,
l’Amour qui fut le germe premier de la pensée,
et en qui les sages, s’ils interrogent leur cœur,
découvrent le lien du non-être à l’être[3].

Cet Amour, qui est le premier-né des ea ux ténébreuses et qui s’y développe par la puissance de la chaleur, est bien encore l’Amour-Agni de l’Atharva et identique à l’Embryon d’or ; mais la réflexion éveillée ente l’abstraction sur l’image, et les formules métaphysiques sortent du mythe naturaliste et concret.

§ 9. S’il sort du siège de l’orage, du siège de la lutte, le monde est fils de la haine autant que de l’amour. C’est en délivrant les dâsapatnîs prisonnières qu’Indra crée le monde, mais c’est aussi, et cela revient au même, en tuant le Serpent :

Ô Indra, quand tu as tué le Premier-né des Serpents,
Alors, créant le Soleil, le Ciel, l’Aurore ;
Alors, certes, tu n’as plus trouvé d’ennemi.

Il n’est point sorti de la de formule cosmogonique, la personne d’Indra étant trop au premier plan, ce qui retenait le mythe engagé dans le temps, dans la période secondaire, dans le domaine des créatures, et l’empêchait de se perdre dans la période de l’impersonnel, antérieure à toute créature, humaine ou divine.

Mais, à défaut de formule cosmogonique, une épopée cosmogonique sortit de là : tandis que le monde sort du chaos, le monde à peine créé, une lutte inouïe s’engage pour sa possession entre dieux et démons,

  1. Kâma est explicitement assimilé à Agni : « Agni, le dieu qui dévore tout, et que l’on appelle aussi Kâma a (Atharva Veda, 3, 21, 4.). La Taittirîya-Sanhitâ invoque Agni-Kâma.
  2. Tapasas ; le mot a double sens, propre et figuré : chaleur et ferveur ; dans ce dernier sens, il joue un grand rôle dans la philosophie indienne, comme puissance spirituelle et mystique. Dans notre vers, le sens primitif domine, mais le sens figuré semble déjà né.
  3. R. V., 10, 129, 3-4.