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forme : quand ils se furent séparés l’un de l’autre, ils enfantèrent toute chose et produisirent à la lumière les arbres, les oiseaux, les bêtes fauves, et ceux que nourrit l’onde salée et la race des mortels. »

Ce n’est là qu’une formule nouvelle de la création hors du Chaos : la création du monde n’étant que la séparation du ciel et de la terre confondus dans ce Chaos.

L’Inde a conservé un souvenir de cette image : mais ici, moins fidèle que la Grèce, elle oublie que cette confusion et cette séparation sont au début des temps et antérieures à tous les êtres : elle renverse le sens du mythe, et cette séparation, au lieu d’être une création qui donne aux deux grands êtres leur vie et leur forme distincte, devient le divorce de la terre et du ciel, le ciel refusant à la terre ses ondes fécondes :

« Ces deux mondes (terre et ciel) étaient ensemble : ils se séparèrent ; il n’y avait plus ni pluie ni soleil ; les cinq classes d’êtres ne s’accordaient plus. Les dieux les rapprochèrent. En se réunissant ils contractèrent mariage selon le rite des dieux : le monde de là-bas approcha et enveloppa le monde d’ici-bas : de-là se formèrent le ciel et la terre[1].

Cette confusion originelle des deux mondes, ce Chaos, nous ramène ici encore à l’élément premier des systèmes passés en revue dans les précédents chapitres, à la nuée c’est dans la nuée d’orage que sont confondus le ciel et la terre, qui se forment en s’en dégageant :

« Où sont nés le Ciel et la Terre, s’écrie un poète védique, les Eaux le savent, les Eaux ruisselantes[2]. »

§ 30. Cette image, transcrite en formule abstraite, donne le système d’Anaxagore, le premier maître d’Euripide[3], qui tenait de lui le mythe qu’il met dans la bouche de Mélanippe[4] : Tout était confondu et tout se fit par séparation ; πάντα ἐν πᾶσιν, εἶτα ὕστερον διεκρίθη. »

Le mythe d’Euripide prouve que l’idée première de cette confusion avait été fournie par l’image du Chaos et qu’entre les éléments infinis et confondus du philosophe et la rudis indigestaque moles des

  1. Aitareya Brâhmana, IV, 27. La cosmologie Océanique a conservé une forme de ce mythe dans le divorce d’Océan et de Téthys (Il. XIV).
  2. R. V. VII, 34, 2.
  3. Diodore, I. 7.
  4. Ἀνακαγόρᾳ προσεφοίτησεν Εὐριπίδης. Ἀναξογόρου δὲ λόγος ἐστὶν ὅτι πάντα ἐν πᾶσιν, εἶτα ὕστερον διεκρίθη· μετὰ ταῦτα ὡμίλησε καὶ Σωκράτει, καὶ ἐπὶ τὸ ἀπορώτερον ἤγαγε τὸν λόγον, ὀμολογεῖ οὐν τὴν διδασκαλίαν τὴν ἀρχαίαν διὰ τῆς Μελανίππης.

    Κοὐκ ἐμὸς ὁ μῦθος, ἀλλ' ἐμῆς μητρὸς πάρα,
    ὧς οὐρανός τε γαῖά τ’…
    (Denys d’Halicarnasse, V).