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darmesteter. — les cosmogonies aryennes

poètes latins, l’univers indistinct des Rishis, il n’y a que la distance d’une abstraction.

Le monde sort de cette indistinction par l’action du Νοῦς ; cette formule, chez les modernes, a valu à Anaxagore l’honneur de passer pour le fondateur du théisme, pour l’inventeur du dieu organisateur et personnel : le mot fait illusion ; il fit illusion même aux anciens, qui cependant s’aperçurent à la fin qu’ils étaient dupes. Le livre d’Anaxagore fut la grande déception de Socrate : dans un joli passage du Phédon, il raconte quel ravissement il éprouva un jour qu’il entendit lire un fragment d’Anaxagore où il était dit que le Νοῦς est la règle et la cause de tous les êtres, et avec quelle passion il se mit à la lecture du livre, espérant trouver là expliquée la cause de toutes choses : « mais quelle déchéance de mes merveilleuses espérances, quand, avançant dans la lecture du livre, je vis un homme qui ne faisait nul usage du Νοῦς qui n’invoque point les causes pour l’organisation des choses, mais explique tout par des airs, des éthers, des eaux et autres absurdités[1]. » Anaxagore, dit Eudème, laissant là le Νοῦς, explique tout mécaniquement[2]. Passe pour un philosophe des temps modernes, après nos orgies de dieu personnel, de réagir en réduisant le rôle du dieu à un minimum, à la chiquenaude initiale, laissant le reste au mécanisme : de tels scrupules à un tel temps ne se comprendraient pas, et la nouveauté de l’idée eût conduit son inventeur à en user et abuser, non à la laisser dormir : voyez le dieu du Timée. Serait-ce par hasard que le mot Νοῦς ; ne disait pas à Anaxagore tout ce qu’il pouvait dire au temps de Platon ou d’Aristote ? Tel est le cas en effet : Aristote, qui remarque qu’Anaxagore se sert de son νοῦς ; comme d’un deus ex machina quand il est embarrassé d’expliquer les choses, et que dans les autres cas il les explique par tout plutôt que par le νοῦς, remarque aussi qu’il emploie indifféremment νοῦς ou ψυχή[3] : « il semble distinguer les deux termes, dit-il, mais s’en sert comme si les deux choses étaient une[4] ».

§ 31. Or, qu’est-ce que ψυχή ? Demandons au maître d’Anaxagore[5],

  1. ὁρῶ ἄνδρα τῷ μὲν νῷ οὐδὲν χρώμενον οὐδέ τινας αἰτίας ἀπαιτιώμενον εἰς τὸ διακοσμεῖν τὰ πράγματα, αἔρας δὲ καὶ αἰθέρας καὶ ὕδατα αἰτιώμενον καὶ αλλα πολλὰ καὶ ἄτοπα.
  2. Ἀναξαγόρας δὲ τὸν νοῦν ἐάσας καὶ αὐτοματίζων τὰ πολλὰ συνίστησιν (ap. Simplicius, Phys. 73 b.).
  3. Ἀναξαγόρας τε γὰρ μηχανῇ χρῆται τῷ νῷ πρὸς τὴν κοσμοποιίαν, καὶ ὅταν ἀπορήση διὰ τίν’ αἰτίαν ἐξ ἀνάγκης ἐστί, τότε παρέλκει αὐτόν, ἐν δὲ τοῖς ἄλλοις πάντα μᾶλλον αἰτιᾶται τῶν γιγνομένων ἢ νοῦν (Met. I, 4.)
  4. Ἀναξαγόρας δ’ ἔοικε μὲν ἕτερον λέγειν ψὑχήν τε καὶ νοῦν, ὥσπερ εἴπομεν καὶ πρότερον, χρῆται δ’ ἀμφοῖν ὡς μιᾷ φύσει (De Anima, I, 2).
  5. Diog. Laert. II. 6.