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à Anaximène. « L’âme qui nous gouverne est air[1], elle est en nous ce que l’air est dans le monde qu’il embrasse et pénètre » : ψυχή n’est point l’intelligence des modernes, le νοῦς du temps de Platon ; c’est le souffle, c’est l’anima, c’est l’air ; et par suite νοῦς-ψυχή d’Anaxagore n’est lui non plus qu’un souffle surnaturel, un spiritus, identique de nature au vent qui, dans la cosmogonie védique, s’élève du chaos indistinct et précède l’éclosion de l’amour[2] ; identique au vent qui, chez les Orphiques, fait germer l’œuf d’amour[3] dans le sein infini du Chaos. Le Νοῦς d’Anaxagore sort de l’ Ἀήρ d’Anaximène : c’est le vent qui souffle dans la nuée première et qui, en la séparant, fera paraître les êtres confondus dans l’indistinct. Ce vent, qui est dans le monde ce que l’âme est dans la créature, a pris sans doute dans la pensée d’Anaxagore quelque chose de l’intelligence humaine ; mais, trop peu dégagé des formules primitives pour prendre conscience de son idée tout entière avec toutes ses conséquences, il reste embarrassé dans les définitions des physiciens. Son Νοῦς ne réussit pas à devenir la force personnelle et consciente qui organise le monde suivant un plan : c’est une force vague et immanente qui agite la matière indistincte et donne le branle au mouvement par lequel elle va s’organiser[4].

§ 32. De ses deux principes, l’indistinct primitif et le Νοῦς qui le sépare, Anaxagore doit le second à son maître Anaximène, il doit le premier au maître d’Anaximène, Anaximandre. Anaximandre, c’est Anaxagore sans le Νοῦς : une matière infinie et indistincte d’où tout sort par séparation. La première production de cette matière infinie est l’humide premier (πρῶτον ὑγρόν, πρώτη ὑγρασία)[5], d’où la terre sort sous le feu qui la dessèche. Nous voici, après une étape, au point de départ de Thalès, aux eaux premières, à l’onde indistincte de l’Univers indien.

  1. Οἷον ἡ ψυχή, φησιν, ἡ ἡμετέρα, ἀήρ οὖσα συγκρατεῖ ἡμᾶς, καὶ ὅλον, τὸν κόσμον πνεῦμα καὶ ἀήρ περιέχει· λέγεται δὲ συνωνύμως ἀὴρ καὶ πνεῦμα (Plut., De plac. phil., I, 6).
  2. Voir § 40.
  3. ὑπηνέμιον, éclos par le vent ; voir § 16.
  4. Virgile même confond encore spiritus et mens :

    Spiritus intus alit totamque effusa per artus Mens agitat molem.

    Probus observe : Nam quod Anaxagoras νοῦν hic spiritum dixit (Eclog. VI, 311.
  5. Zeller, l. l., p. note 2.