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darmesteter. — les cosmogonies aryennes

doute[1]. » Laissant de côté l’existence de Zervan, mis au premier plan en vertu des principes propres à la secte, l’on voit que le véritable créateur est le sacrifice, agent si puissant et si infaillible dans ses effets que ses imperfections même produisent, et que, tandis qu’il amène à l’existence le futur créateur de la lumière et du bien, le mal et les ténèbres naissent de l’ombre qui l’a traversé.

§ 37. On est ici bien loin en apparence du naturalisme primitif, des images matérielles et sensibles qui dans les cosmogonies précédentes nous renvoyaient d’un accord unanime aux phénomènes créateurs de la nuée ténébreuse moins cependant qu’il ne semble. Dans les deux mythologies aryennes d’Asie, l’orage est souvent conçu, non plus comme une lutte entre adversaires, mais comme un office religieux célébré par des dieux-prêtres dans la région d’en haut[2] ; la pluie qui inonde la terre n’est plus que la libation des coupes sacrées vidées dans le ciel, et c’est le cantique entonné par les chantres divins qui retentit dans les vibrations prolongées du tonnerre, hymne sublime, qui remplit les deux mondes. Cette cosmogonie abstraite, avec sa création liturgique, nous renvoie donc dans la même région que les cosmogonies concrètes créant le monde du sein des eaux, des ténèbres, de l’œuf ou de l’arbre. Seulement elle ne pouvait se former que dans un temps et chez des peuples où la liturgie s’était élevée au rang des puissances suprêmes ; le culte était devenu une des forces de la nature.

§ 38. L’hymne en particulier, une fois retrouvé dans la voix du tonnerre, arrivait aisément à un rôle surnaturel. Dans l’hymne cité plus haut, on a rencontré cette ligne bizarre : « Purusha naquit de Virâj et de Virâj Purusha. » Or, Virâj n’est qu’un des noms de Vâc, « la Parole, Vox », primitivement la voix du ciel entendue dans la nuée[3], formule sacrée lancée par les êtres d’en haut et qui devient une des expressions les plus hautes de la pensée mystique immanente et créatrice, un Brahma femelle. Voici un hymne où les souvenirs de sa valeur naturaliste première, des combats auxquels elle prenait part dans les hauteurs nébuleuses, des conquêtes qu’elle y fait sur le démon et pour l’homme, se mêlent, dans un mysticisme d’une transparence singulière, avec les ambitions nouvelles de souveraineté universelle :

  1. Eznig (Ormazd et Ahriman, § 234).
  2. Abel Bergaigne, la Religion Védique, introd. et 197 sq.
  3. C’est pour cela qu’elle est fille de l’Amour (conçu dans sa valeur mythique d’Agni, § 8).