Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 11.djvu/492

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
488
revue philosophique

« C’est moi qui vais avec les Rudras et les Vasus, moi avec les Adityas et tous les dieux. C’est moi qui suis le support de Mitra et Varuna ; moi, d’Indra et Agni moi, des dieux Açvins.

« C’est moi qui suis le support de Soma, plein de sève ; moi, de Tvashtar et Pûshan et Bhaga ; c’est moi qui donne la fortune à qui offre libation, au sacrificateur zélé qui presse le Soma.

« C’est moi la reine en qui affluent tous les biens la divinité intelligente, la première de celles qui ont droit au sacrifice c’est moi que les dieux ont mise à tous les coins du monde, moi qui fixe et qui fais passer.

« C’est par moi que se nourrit tout être qui voit, qui souffle, qui entend parole : en moi, ils reposent sans le savoir ; écoute, écoutez, je dis parole de foi.

« C’est moi qui de moi-même prononce la parole qui réjouit les dieux et les hommes. Celui que j’aime, celui-là je le fais redoutable, je le fais Brahman, Rishi, Sage.

« C’est moi qui tends l’arc de Rudra[1] pour lancer la flèche qui tuera l’ennemi de Brahma ; c’est moi qui lutte pour le genre humain ; je suis celle qui pénètre le ciel et la terre.

« J’enfante mon père en sortant de son front ; mon lieu de naissance est dans le sein des eaux, dans l’Océan de là je me lève et vais toucher tous les mondes, le ciel et le firmament.

« C’est moi qui vais soufflant comme le vent, m’emparant de tous les univers, par delà le ciel, par delà cette terre, tant est grande la grandeur dont je suis[2] ! »

Ainsi s’exprime la déesse désignée par les Indiens eux-mêmes sous le nom de Vâc Ambhrinî, « la voix née du nuage », nom plus que transparent et qui fait comprendre pourquoi elle remplit les deux mondes, pourquoi les dieux l’ont mise à tous les coins de l’Univers, pourquoi son lieu de naissance est dans les eaux, pourquoi enfin elle enfante son père en naissant de son front ; en sortant du front du ciel[3], ne le crée-t-elle pas à son tour, puisqu’à sa voix il sort de la nuit et reparaît ? Voilà pourquoi, naissant de Purusha, il naît d’elle.

  1. Rudra est un des noms du dieu d’orage ; l’ « éclair » est appelé « la flèche de Rudra.
  2. R. V., 10, 125. On a rapproché de Vâc le Verbe de saint Jean. Je crois que la ressemblance n’est qu’apparente. Le mot Verbe n’est qu’une traduction incomplète du terme grec Λόγος, qui est, avant tout, la Raison, une forme de Σοφία. Les affinités véritables du Λόγος sont du côté de la Sagesse céleste (Ecclésiastique, Proverbes ; — Philon ; — Formules Avestéennes sur l’âsna khratu et Minokhired).
  3. Le lecteur rapprochera de lui-même le mythe grec : Athena sortant du front de Zeus (le ciel), en agitant ses armes étincelantes, et poussant un cri qui remplit le ciel et la terre.