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darmesteter. — les cosmogonies aryennes

De là des mythes où l’être premier et la Voix agissent ensemble et où la Voix devient l’élément femelle de la création : « Prajâpati était tout l’Univers, il se dédoubla en Vâc (la parole) ; il s’unit à elle, elle conçut, s’éloigna de lui et enfanta toutes ces créatures[1]. » Dans un autre mythe, la nature primitive de Vâc reparaît, car elle agit avec la lumière : « Prajâpati créait les races : il était épuisé : Vâc, pour le ranimer, fit lever devant lui un rayon de lumière. Il dit : Qui m’a fait lever ce rayon de lumière ? Elle répondit : Moi, qui suis tienne, Vâc[2]. » Traduction mystique de l’union de la flamme et de la voix, de l’éclair et du tonnerre, dans la création orageuse. Vâc devient enfin l’instrument de la création après avoir flotté un an dans l’œuf cosmique, Prajâpati sentit le besoin de parler : il dit terre ! et la terre fut : atmosphère ! et l’atmosphère fut ; ciel ! et le ciel fut[3]. Prajâpati lui-même semble devenir une des créations de Vâc : il est dit Vâcya, « né de Vâc[4] » ; elle devient enfin la matière première :

« La parole est l’incréé ; c’est de la parole que l’artisan universel a fait les créatures[5]. »

La parole n’atteint pas en Perse à un rôle aussi relevé : elle demeure subordonnée à l’être suprême. Elle est antérieure au monde, mais elle est toujours parole d’Ormazd et non parole en soi. « Esprit très bienfaisant, dit Zoroastre à Ormazd, créateur des mondes matériels, sant ! Quelle est la parole que tu as prononcée, ô Ahura Mazda, avant que fût le ciel, avant les eaux, avant la terre, avant le taureau, avant les arbres, avant le feu, fils d’Ahura Mazda, avant le premier homme, avant les démons, les reptiles et les hommes, avant tout l’Univers matériel, avant tous les biens créés par Ahura, qui ont leur germe dans le bien » ? — « C’est l’Ahuna Vairya, répond Ormuzd : cette parole, je l’ai prononcée avant la création de ce ciel, avant les eaux, avant la terre, avant les arbres, avant la création du taureau quadrupède, avant la naissance du premier homme, avant le soleil, etc.[6] ». La parole est une des puissances suprêmes dans la lutte contre Ahriman : c’est par elle qu’au début des temps Ormazd repousse son adversaire envahissant la lumière : « il prononça les vingt et une paroles de l’Ahuna Vairya : au premier tiers de la prière, Ahriman de terreur courba le corps ; au second, il tomba sur les genoux ; au troisième, il sentit son impuissance et retomba dans les

  1. Kâthaka, XII, 5 ; ap. Muir, Sanskrit texts, V, 392.
  2. Ap. Weber, Indische Studien, IX, 478.
  3. Çataputha Brâmana, XI, 1, 6 ; apud Muir, ibid., IV, 24.
  4. Les Rishis attribuent à Vâcya Prajâpati la composition des hymnes, 3, 38, 54-56 ; 9, 84.
  5. Çataputha Brâmana, VII, 5, 2, 21 ; apud Muir, IV, 22.
  6. Yasna, XIX.