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date pas d’hier, ne s’occupait que de l’homme moral. L’anthropologie nouvelle ne s’occupe que de l’homme anatomique. Elle a entièrement délaissé l’étude des fonctions intellectuelles et délaissé à ce point que l’anthropologiste cité plus haut ne mentionne même pas la psychologie dans la liste pourtant variée, puisqu’elle comprend la musique et la sculpture, des sciences anthropologiques.

Pour juger des tendances de l’anthropologie actuelle, il faut donc étudier les travaux des anthropologistes ; or il suffit d’un coup d’œil rapide pour reconnaître que l’objet principal de leurs recherches est l’étude des races humaines. Ce qu’ils étudient le plus dans les races humaines, ce sont les variations de formes du squelette en général, mais principalement du crâne. C’est là une tâche utile assurément, car mieux valent des notions précises sur un petit coin de la science si restreint que ce coin puisse être, que des généralités vagues, sans bases précises ; mais c’est une tâche dans laquelle, sous peine de ne plus être bientôt considérée que comme une branche de l’ostéologie et perdre tout crédit, l’anthropologie ne saurait rester confinée plus longtemps. Prétendre connaître l’homme quand on n’a étudié que ses ossements ou la coloration de sa peau, ce serait vouloir juger un tableau par l’analyse chimique des couleurs qui ont servi à le créer. La connaissance de la psychologie d’un individu sera toujours plus importante que celle de son squelette. Nos classifications actuelles des races humaines sont évidemment tout à fait provisoires et ne sauraient résister au plus superficiel examen ; mais, puisque nous devons nous contenter de ces classifications provisoires, mieux vaudraient encore des divisions fondées sur les aptitudes morales et intellectuelles des divers groupes humains que ces classifications vraiment puériles qui prennent pour bases fondamentales des caractères aussi secondaires que la forme des cheveux.

Quant à la sociologie, elle est loin assurément encore de pouvoir prétendre au titre de science, car elle n’a guère tenté jusqu’ici que de bien insuffisantes ébauches. C’est une science qui ne sera pas née et que nous voyons poindre à peine à l’horizon. Elle n’est susceptible de développement que lorsque l’anthropologie, et j’entends surtout ici par anthropologie l’étude la psychologie comparée des races, sera sortie de la période d’enfance où elle se trouve encore.

Dans ces sciences nouvelles en voie de formation, chacun peut apporter ses idées, mais surtout les faits et les méthodes qu’il possède. L’avenir séparera facilement ce qui est utile de ce qui ne mérite que l’oubli.

En traitant dans cette Revue des questions qui nous semblent