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de côté les discussions vaines sur le degré de responsabilité des criminels, et se rappelant que le premier devoir d’une société est de se défendre, fermera pour toujours les prisons et les bagnes, et emploiera les nombreux millions qu’ils coûtent à déporter à perpétuité dans des contrées lointaines tous les récidivistes, eux et leur postérité, dans tous les cas de fautes graves. La déportation dans des contrées demi-sauvages placera précisément du reste la plupart des criminels dans des milieux correspondant à leur intelligence et à leur moralité inférieure, et ils pourront même y prospérer.

Quant aux simples violations de la loi, peu dangereuses pour la sécurité publique, des amendes pécuniaires, ou, à leur défaut, un travail obligatoire industriel ou agricole d’une durée variable, ou même encore un service militaire forcé sous une discipline sévère, seraient autrement efficaces que la prison. De tels moyens seraient surtout efficaces à l’égard de ces délits fort peu punis aujourd’hui, tels que les tromperies commerciales et financières, qui démoralisent si profondément toutes les nations modernes et dont les auteurs, moins nuisibles en apparence que les détrousseurs de grands chemins, font cependant un mal plus profond.

Quant aux véritables aliénés, il faut se résoudre à les enfermer à perpétuité, car ils sont généralement incurables et beaucoup plus dangereux en réalité que l’homme raisonnable qui, sous l’influence d’une passion violente passagère, commet un crime. Acquitter et mettre en liberté, comme l’a fait récemment un jury, un individu qui a méthodiquement tué sa femme à coups de hache, sous prétexte que, étant alcoolique, il était irresponsable, c’est rejeter dans la société un être aussi dangereux qu’un animal enragé.

Même au point de vue humanitaire, qui, dans la circonstance, ne doit évidemment passer qu’en seconde ligne, le système de déportation dont je viens de parler serait beaucoup moins cruel que les peines qu’on inflige aujourd’hui aux coupables et qui les rendent incapables ensuite de trouver aucun travail.

Les questions de responsabilité ou de libre arbitre n’ont évidemment rien à faire dans tout ce qui précède, et, si nous voyons les juges s’en inquiéter toujours, c’est que d’une façon inconsciente ils sont sous cette préoccupation, née de l’ancien droit, non de protéger la société, mais de la venger. Là où l’injure est involontaire, elle n’existe pas, et la vengeance perd ses droits. De là l’importance pour eux de savoir si le crime a été volontaire ou ne l’a pas été.

De telles préoccupations sont en réalité puériles. Quand une vipère, un chien enragé me mord, je me soucie peu de savoir si l’animal est responsable ou non de son méfait. Je tâche de me protéger en l’em-