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Dr g. le bon. — la question des criminels.

pêchant de nuire et de nuire à d’autres voilà ma seule préoccupation. Certes, tous les criminels sont irresponsables, en ce sens que par leur nature ou les circonstances ils ne pouvaient être que criminels ; mais en quoi ces êtres redoutables méritent-ils plus d’égards que les milliers d’innocents que nous envoyons mourir misérablement sur des champs de bataille lointains pour défendre l’honneur de causes qu’ils ne connaissent même pas ? En quoi la victime d’un assassin et surtout les victimes futures qu’il fera sûrement en sortant de la prison ou de l’hôpital seraient-elles moins dignes d’intérêt que cet assassin lui-même ?

Les moralistes, habitués à croire qu’une Providence bienveillante gouverne le monde d’une main équitable, et que leur justice idéale est reine des choses, s’indigneront sans doute qu’un individu puisse être puni pour une faute dont il n’est pas coupable. Mais ces hommes justes, qui n’ont jamais vécu que dans des livres, oublient toujours qu’il n’y a aucune concordance entre la réalité des choses et leurs rêveries. Ce n’est pas ma faute assurément si je rencontre sur mon chemin l’obscur microbe de la variole, de la peste ou du choléra ; et cependant, si je l’ai rencontré, j’en suis puni, et il faut mourir. Ce n’est pas plus sans doute la faute d’un individu s’il est bon ou méchant que ce n’est sa faute s’il est beau ou laid, intelligent ou stupide, bien portant ou malade. Rien ne l’empêche cependant d’être dans ces différents cas récompensé ou puni par la nature ou par les hommes, pour des qualités ou des vices aussi indépendants de sa volonté que la couleur de ses yeux ou la forme de son nez. Nous pouvons plaindre lesi ndividus doués d’une organisation qui les condamne aux actions mauvaises, plaindre ceux qui ont la stupidité, la laideur ou une santé débile en partage, tout comme nous plaignons l’insecte que nous écrasons en passant ou l’animal que nous envoyons à l’abattoir ; mais c’est là une compassion vaine qui ne saurait les soustraire à leur destinée.

Notre conclusion sera donc bien nette : Tous les criminels sans exception sont responsables, et la société a le devoir de se protéger, contre eux. Une telle doctrine n’a aucune chance assurément de trouver des adhérents aujourd’hui, et on ne peut la considérer que comme une vérité de l’avenir, mais comme une vérité qui sera banale dans cinquante ans. De telles prévisions doivent nous suffire. Les connaissances qui permettent à l’observateur de prévoir les transformation des idées que doit fatalement produire l’évolution d’une civilisation ne lui fournissent aucun moyen d’en accélérer le cours.

Dr Gustave Le Bon.