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instantanément des lèvres. Il envoie son marbre au Salon, sans aucune désignation, bien entendu. Déception cruelle le catalogue officiel porte la mention suivante « M. Bra, n°… Homme assis ! »

À la statue de la Nuit qui est placée auprès du tombeau de Laurent de Médicis, Michel-Ange aurait pu donner un autre nom, celui de la Douleur, par exemple. Ce n’eût pas moins été l’expression poignante des émotions patriotiques du maître :

Mentre che il danno e la vergogna dura.

Nous ne voudrions pas en terminer avec la sculpture, sans dire quelques mots de l’art polychrome, récemment préconisé par les uns, critiqué par les autres, sans qu’aucune raison bien décisive ait été donnée de part et d’autre. Nous avons déjà indiqué en passant, à propos de l’architecture, ce que la teinte sombre ou claire des matériaux, en affaiblissant les lumières ou les ombres naturelles, faisait perdre au mouvement oculaire en précision et en sûreté. L’effet artistique s’en trouve nécessairement diminué ou plutôt amolli. Pour se convaincre de l’exactitude de cette observation, il suffit de jeter les yeux sur la reproduction, fidèle, littérale pour ainsi dire, en marbre ou en terre cuite, d’une statue de bronze, par exemple. Les formes, bien qu’identiques, ou plutôt parce qu’identiques, semblent. moins énergiques, moins accentuées. Inversement, la reproduction, en bronze ou en marbre noir, d’une terre cuite est généralement plus dure, moins gracieuse que l’original. À l’appui de notre thèse, nous citerons encore l’exemple de l’orfèvrerie d’art. L’éclat que conserve l’or ou l’argent, même à l’état mat, affaiblit et atténue l’impression artistique. Il suit de là que les saillies et les creux, le modelé en un mot, doivent varier suivant la teinte ou le poli de la substance employée, et que, par conséquent, s’il n’est pas trop hardi d’employer une pareille expression, l’artiste doit penser son œuvre en marbre, en terre cuite, en bronze, en argent ou en or, suivant les matériaux qu’il doit employer plus tard. Cette observation nous a été suggérée par la comparaison des vitrines, d’ailleurs si remarquables, de MM. Fannière et Froment-Meurice à l’Exposition universelle de 1878. La plupart des figures, exposées par cette dernière maison, avaient été exécutées sur des modèles fournis par M. Carrier Belleuse, et traduits avec une fidélité scrupuleuse en argent par d’habiles ouvriers. Dans leurs maquettes, au contraire, les frères Fannière, familiarisés avec le travail de la substance métallique, avaient bien mieux tenu compte de ses particularités caractéristiques, et l’effet était beaucoup plus satisfaisant. Si donc une statue est faite de plu-