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g. guéroult. — du rôle du mouvement

sieurs matériaux différents, comme la Minerve de Simart, par exemple, il faudra que l’artiste donne à chaque partie un modelé différent. Ce travail, d’une grande difficulté, vaut-il la peine qu’il coûte ? Pour notre part, nous en doutons absolument. Et qu’on ne dise pas que la polychromie, en reproduisant les teintes de la nature, donne une apparence plus vivante et plus exacte aux objets reproduits. S’il en était ainsi, la figure de cire serait le dernier mot de la statuaire, tandis qu’elle produit, au contraire, une impression plutôt désagréable, qui a été fort bien expliquée par Alexandre Dumas dans une de ses dernières préfaces. C’est que, en voyant toutes les apparences de la vie, le spectateur est d’autant plus choqué de ne pas y rencontrer le mouvement qui en est le caractère dominant et principal. Cet homme ou cette femme, au teint coloré, aux yeux brillants, conserve l’immobilité de la mort, sans en offrir la douloureuse majesté. Dans la statuaire ordinaire, au contraire, précisément parce que l’illusion n’est pas possible, le « repos éternel », dans une attitude gracieuse ou grandiose, ne fait éprouver aucune déception pénible et ajoute plutôt à l’effet général.

3o Peinture.

La peinture présente, avec l’architecture et la sculpture, une différence capitale et caractéristique. Représentant, sur une surface plane, des objets à trois dimensions, elle offre, aux mouvements oculaires, une trajectoire qui est fausse pour la dimension de profondeur ; le regard est donc dérouté, contrarié dans ses évolutions, et il en résulterait, pour les perceptions, un certain trouble, si l’artiste n’avait recours à certains artifices particuliers, que le langage ordinaire a très exactement qualifiés de trompe-l’œil. Le plus important de tous est la perspective linéaire ; mais, contrairement à ce que pensent un certain nombre d’amateurs et même d’artistes, les constructions mathématiques de cette science sont loin d’être exactes. La perspective suppose, en effet, d’abord, que le spectateur ne regarde que d’un seul œil, et encore d’un œil constamment fixé au même point, le point de vue. Si l’on se reporte à ce qui a été dit au début de ce travail sur la perception du relief, on ne saurait trop admirer l’instinct ingénieux avec lequel les artistes ont su devancer, de dix siècles peut-être, les découvertes de la science, et choisir avec une habileté merveilleuse les conditions où la notion de profondeur disparaît presque entièrement. Mais il n’en est pas moins constant que ces conditions ne sont presque jamais remplies, que le spectateur se sert de ses deux yeux pour regarder un tableau, et qu’il n’est que