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g. guéroult. — du rôle du mouvement

où le regard n’est pas habitué à parcourir des formes définies et, par conséquent, où il n’a pu contracter aucune habitude.

La théorie que nous exposons ici nous semble trancher, d’une façon plus décisive et plus satisfaisante que les précédentes, la grande querelle entre le dessin et la couleur. Malgré les entraves qu’il rencontre sur la surface plane du tableau, le mouvement oculaire demeure encore l’élément principal de l’expression pittoresque ; le dessin peut, à lui seul, lui fournir sa trajectoire. Un assemblage de couleurs, si bien choisies qu’on les suppose, mais d’où la forme serait complètement bannie, pourrait causer des sensations agréables analogues à celles des parfums et des saveurs. Il ne dirait rien à l’esprit, à l’imagination, à l’âme. Historiquement, néanmoins, l’on peut dire que les coloristes sont peut-être plus peintres que les autres. Les imperfections du dessin se confondent chez eux avec les dérogations nécessaires à la perspective, et sont également dissimulées ou atténuées, grâce à la perfection du coloris. Les dessinateurs qui font terne, au contraire, semblent toujours des sculpteurs qui se seraient constamment trompés sur la troisième dimension.

En raison du caractère mixte, plus intellectuel, comme nous l’avons dit plus haut, de la peinture, il est naturel que le sujet y joue un rôle plus important qu’en sculpture. Le peintre peut, à son gré, grouper un plus grand nombre de personnages sur le terrain et dans le cadre qui lui convient. Il peut donc raconter les faits d’une façon autrement précise, détaillée, complète. Et, dans ce récit sur une toile, il trouve des moyens plus sûrs, plus nombreux, plus efficaces d’arriver jusqu’à l’imagination, jusqu’à l’âme du spectateur. Ajoutons que ce groupement possible des éléments les plus divers lui permet de fournir, au mouvement oculaire, en guise de trajectoire, des formes infiniment plus variées, plus compliquées, plus intéressantes, que la sculpture et l’architecture. Aussi l’émotion produite par la célèbre bataille de Salvator Rosa, par le Radeau de la Méduse de Géricault, est d’un caractère assurément plus entraînant que celle engendrée par la contemplation des œuvres de la statuaire.

Un sujet qui prête à de grands développements peut donc, indépendamment de l’action excitatrice qu’il exerce sur l’esprit de l’artiste, être considéré comme plus favorable qu’un autre.

Mais il ne faut pas perdre de vue que le peintre doit traiter le sujet, quel qu’il soit, en peintre et non en littérateur. C’est avec des formes et des couleurs qu’il doit raconter ses impressions. C’est cette considération qui explique un fait depuis longtemps constaté. Dans ce chef-d’œuvre comique qu’on appelle le Gendre de M. Poirier, le marquis de Presles, sa femme et son ami se prennent à admirer un ta-