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temps modernes reproduit cette marche dans les parties essentielles, sinon dans les détails. D’une manière ou d’une autre, le résultat se produit quand une nécessité commune oblige à la coopération, tandis qu’il n’y a pas d’autre moyen d’assurer la coopération qu’un consentement volontaire.

À commencer par l’exemple de Venise, nous remarquons d’abord que la région occupée par les anciens Venètes comprenait le territoire marécageux étendu que formaient les dépôts des diverses rivières qui se jettent dans l’Adriatique. Ce territoire était, au temps de Strabon, « coupé partout par des rivières, des cours d’eau, et des étangs, » de telle sorte « qu’Aquilée et Ravenne étaient bâties au milieu des marais. » Retranchés comme dans une forteresse dans cette région rempli de lieux inaccessibles à tout autre qu’aux habitants qui en savaient les chemins compliqués, les Vénètes conservèrent leur indépendance, en dépit des efforts des Romains, jusqu’à l’époque de César. Plus tard, la portion du pays la plus particulièrement inaccessible fut encore le théâtre des mêmes événements. Dès les temps les plus reculés, les îlots, ou plutôt les bancs de boue sur lesquels Venise s’élève, ont été habités par un peuple de marins. Chaque ilot, entouré de lagunes sinueuses, avait un gouvernement populaire dirigé par des tribuns élus chaque année. Ces gouvernements primitifs, existant à l’époque où des milliers de fugitifs chassés de la terre ferme par l’invasion des Huns vinrent s’établir dans ces iles, survécurent sous la forme d’une confédération grossière. Comme nous l’avons vu dans d’autres cas, l’union à laquelle ces petites sociétés indépendantes étaient contraintes, en vue d’une défense commune, était troublée par des guerres intestines ; et ce ne fut que par l’obligation d’opposer une résistance aux attaques des Lombards d’un côté et des pirates esclavons de l’autre, qu’une assemblée générale de nobles, du clergé et des citoyens nomma un duc ou doge pour diriger les forces unies et refréner les factions du dedans : ce doge fut placé au-dessus des tribuns des îles de l’Union, et sujet seulement du corps qui Pavait nommé. Quels changements se produisirent plus tard ; comment le doge se trouva-t-il soumis non seulement au contrôle de l’assemblée générale, mais à celui de deux conseillers élus, et fut-il obligé dans les occasions importantes de convoquer les principaux citoyens ; comment se forma-t-il par la suite un conseil représentatif qui se modifia de temps en temps, nous n’avons pas à nous en occuper. Nous n’avons qu’à montrer que, de même que dans les exemples précédents, les groupes composants placés dans des circonstances favorables à la conservation de leur indépendance respective, la nécessité impérieuse de l’union contre les ennemis