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de notre personne donne indirectement un caractère de joie ou caractère de tristesse à tous les sentiments que nous procure notre activité. Le plaisir d’amour-propre est la condition de tous les autres plaisirs. L’idée de notre valeur est pour notre âme ce que le soleil est pour nos yeux. Ce n’est pas le soleil lui-même que nos yeux aiment à contempler ; mais la présence de ses rayons répand partout la lumière et le mouvement, leur absence laisse tout ténébreux et immobile. L’idée de notre valeur rayonne de même indirectement sur notre âme. Un éloge sorti d’une bouche assez autorisée pour nous faire monter notablement dans notre propre opinion peut verser sur notre vie pour des années la joie qui résulte de la confiance et de l’entrain. Une parole de critique ou de dédain assez forte pour nous abaisser à nos propres yeux peut empoisonner d’une manière irrémédiable notre activité par la tristesse du découragement.

On peut sacrifier sans trop de regrets des plaisirs même très vifs, quand on sait qu’ils sont passagers et que, lorsqu’ils ont passé avec l’occasion qui les a fait naître, ils ne laissent dans l’âme aucune trace durable. Mais il faudrait être bien faible ou bien fou pour se laisser enlever par sa faute le plaisir d’amour-propre, ce plaisir durable, permanent, qui nous suit partout, qui se mêle à tout, qui anime tout de sa lumière et sans lequel la vie extérieurement la plus heureuse serait intérieurement insupportable.

H.-Adrien Naville.