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ANALYSES. — b. erdmann.Kant’s Kritik der Urtheilskraft.

emprunté à Kant[1] tout incomplet qu’il soit, ne paraîtra peut-être pas inutile pour résumer tout ce travail :

Facultés de l’âme. Facultés de connaître. Principes à priori. Application.
Faculté de connaître. Entendement. Conformité à des lois. Nature.
Sentiment de plaisir Jugement. Conformité à des lois Art.
ou de peine. (finalité).
Faculté de désirer. Raison (pure But final. Liberté.
pratique)

Conclusion. — Et maintenant, sortant de l’histoire veut-on se demander quel peut être encore aujourd’hui pour nous l’intérêt de cette partie de l’œuvre de Kant ? L’introdution qui en forme le début contient peut-être les pages les plus fortes que Kant ait écrites. C’est, à mon goût, ce que le génie philosophique a produit de plus honorable pour notre espèce depuis les dialogues de Platon. Oui, sans doute, ces pages d’un style barbare, enveloppées des nuages du ciel germanique, sont, comme les merveilleuses fictions du grec subtil, un grain de pur encens digne du culte de l’Éternel. La critique du goût ne donne du beau qu’une définition très générale qui revient à l’unité variée des anciens, mais transportée de l’objet, où on l’envisage d’ordinaire, dans la représentions. Il s’ensuit que le beau est senti et ne peut être soumis à un critérium absolu. Or, de même que le formalisme scientifique de la Critique de la raison pure n’exclut pas, mais appelle, au contraire, le concours de l’expérience féconde, de même que le formalisme moral de la Critique de la raison pratique se concilie aisément avec une doctrine empirique de l’évolution de la moralité humaine, de même le formalisme esthétique de la Critique du jugement doit être complété par une esthétique empirique où les conditions de l’intuition sensible et les lois de l’association des idées détermineraient expérimentalement la matière du beau. Enfin l’analyse du jugement téléologique, en mettant en lumière la contingence et la finalité des phénomènes de la nature, ouvre la voie pour une réconciliation de deux législations différentes de l’entendement scientifique et de la raison pratique, pour le rapprochement des deux mondes, le monde de la causalité matérielle et celui de la liberté morale. Pour l’entendement, la réalité est un phénomène mécanique ; pour le jugement, elle est un phénomène intellectuel pour la raison pratique, elle est un phénomène moral. On voit combien il serait facile de presser cette conception pour en faire sortir un système phénoméniste complètement unifié, d’où le noumène aurait disparu sans retour. Mais ici Kant nous arrêterait. La pensée est restée enfermée dans le relatif, sans cesser d’être orientée du côté de l’absolu[2].

Darlu.
  1. Critique du jugement, trad. Barni, p. 57.
  2. Si quelques-uns estimaient que la Critique du jugement va au delà des conclusions des deux premières critiques dans le sens du relativisme, je citerais la phrase suivante de Kant, trad. Barni, p. 142, en note ; éd. B. Erdmann, p. 187 : « Il est impossible que la moralité soit une fin naturelle de la nature. »