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Ad. Franck. — Réformateurs et publicistes de l’Europe, dix-septième siècle. Paris, Calmann Lévy, 1881.

Ce volume fait suite aux Réformateurs et publicistes de l’Europe pendant le moyen âge et la Renaissance. L’auteur y déploie les mêmes qualités critique pénétrante et impartiale, érudition profonde et toujours puisée aux sources, libéralisme ardent et éclairé, qui communique au style je ne sais quel souffle d’entraînante persuasion. Chacune de ces études forme un tout complet en soi ; pourtant un lien étroit les unit ; elles nous font assister au développement non seulement chronologique, mais aussi rationnel, de différents principes ou de tendances diverses, dans le domaine du droit naturel, et l’ensemble nous présente le spectacle attachant d’une évolution qui est un progrès.

Voici d’abord l’école de la résistance, avec Suarez, Mariana, Selden. Ce sont les réactionnaires du temps. Plein d’égards pour les hommes, M. Franck est d’une sévérité impitoyable pour les doctrines. Il démêle avec beaucoup de finesse ce qui se cache sous les revendications des Pères Jésuites en faveur des droits populaires et de la liberté. Leur but, c’est d’abaisser te pouvoir temporel au profit de l’absolutisme théocratique représenté par le Pape. Pour une telle fin, tous les moyens sont bons, jusqu’au régicide inclusivement. — Il est digne de remarque que ces orthodoxes en prennent parfois singulièrement à leur aise avec l’autorité de la Bible. C’est ainsi que Mariana développe, avant Hobbes et Rousseau, et à la suite de Lucrèce, la fameuse théorie de l’état de nature où l’homme, à la manière des bêtes fauves, errait dans les bois, en guerre perpétuelle avec ses semblables. Le droit, la justice, n’ont commencé qu’avec la société et ne sont, comme elle, que de pures conventions. La théorie théocratique, aussi bien que celle du despotisme, est incompatible avec la notion d’un principe absolu de la morale révélé par la raison.

Un livre intéressant est consacré aux utopistes. Après les apologistes impuissants du passé, les rêveurs qui placent leurs espérances dans un avenir chimérique ; après Suarez et Mariana, Campanella et Harrington. La Cité du Soleil et l’Oceana sont suffisamment connues. Mais il n’était nullement superflu de mettre une fois de plus en lumière, comme l’a fait M. Franck, le mépris des droits et de la liberté individuels, que ne Justine pas entièrement, chez les utopistes de toutes les époques, à commencer par Platon, un zèle très sincère pour le bonheur de l’humanité.

Entre ces deux partis extrêmes se formait lentement, dès le commencement du xviie siècle, la véritable science du droit naturel. M. Franck s’arrête avec respect devant la grande figure de son fondateur, Hugo Grotius. Le tableau qu’il nous trace de l’homme et de l’œuvre a quelque chose de l’imposante majesté du modèle. On ne sau-