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qui s’offrent fréquemment aux yeux de l’enfant. « Le point géométrique, dit-il, correspond à l’idée que nous nous faisons d’un corps très petit dont nous ne considérons que la position dans l’espace ; exemple : une étoile, une très petite marque à la craie ou à la plume, la pointe d’une aiguille, etc. L’idée de ligne nous vient des objets très allongés, mais extrêmement déliés dans tous les autres sens, comme un fil très fin (celui de l’araignée), la trace lumineuse, apparente d’un point brillant animé d’une grande vitesse (une étoile filante).… La surface se révèle à nous par la vue d’un corps presque sans épaisseur, un vase de fer-blanc, une pièce d’étoffe déployée, etc. » Il abandonne même les anciens axiomes pour y substituer des faits empruntés aux propriétés élémentaires du mouvement de translation et de rotation des corps solides. Dès maintenant, on emploie généralement cette même méthode pour les commençants dans l’étude des volumes, invitant les jeunes esprits à refaire à leur usage, mais en abrégé, les opérations d’inférence auxquelles s’est livrée dans les âges primitifs l’intelligence humaine. Il est vrai qu’un savant géomètre, qui est en même temps un hardi métaphysicien, M. Boussinesq, soutient l’origine rationnelle des notions mathématiques. Il exprime très heureusement l’hypothèse qu’il combat : « En vertu de l’hérédité, les résultats de ces observations se seraient condensés à la longue en un système de notions moyennes, incomparablement mieux définies et plus constantes qu’ils ne pouvaient l’être, pris isolément, de même que la moyenne d’un grand nombre de mesures, effectuées par diverses personnes sur un objet déterminé, se trouve d’ordinaire plus exacte que ces mesures[1]… » Mais il objecte à cette théorie : 1o qu’on ne peut arriver à des résultats d’une rigueur et d’une concordance absolues, comme le sont les idées géométriques, par des combinaisons d’éléments imparfaits, si nombreux qu’on les suppose ; 2o que l’activité propre de l’esprit est toujours requise pour extraire par le souvenir les images quasi-circulaires (le cercle étant pris pour exemple) du nombre prodigieux de celles qui ne le sont pas, les grouper, les fondre en une seule idée, bref pour opérer les classements variés d’images auxquels correspondraient les diverses conceptions géométriques ; 3o qu’enfin la correction des écarts offerts par les objets réels en deçà et au delà de la moyenne à obtenir suppose que le but à atteindre soit déjà dans la pensée ; que par conséquent les concepts mathématiques sont dans l’intelligence implicitement quand elle les retrouve en présence des objets qui s’en rapprochent. À quoi nous répondrons que, si les combinaisons d’idées géométriques sont de l’ordre scientifique, la formation de

  1. Revue philosophique, avril 1880, p. 416.