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ANALYSES. — ANGELO SIMONCELLI.. L’Uomo ed il bruto.

cette prétention de mêler à justes doses la métaphysique et l’expérience n’est-elle pas un peu vaine ? M. Simoncelli annonce le dessein de rejeter cette métaphysique transcendante qui cherche à remonter directement des questions les plus difficiles à ce qu’il y a de plus caché dans la nature des choses et, sans tenir compte du développement naturel de l’esprit humain ni des faits qui apparaissent dans les deux mondes externe et interne, trace impérieusement sa voie à l’homme. C’est pourtant au nom de principes absolus sur l’essence, l’origine et les rapports des êtres qu’il fait sa part aux faits, je dois le dire, ni assez nombreux ni assez scientifiquent interprétés, qu’il a recueillis dans les livres des observateurs. Ces faits ne paraissent même amassés et triés que pour appuyer d’une sorte de consécration expérimentale les déductions d’une philosophie à priori, si peu en rapport avec les découvertes de la science actuelle qu’elle se complait à retrouver ses origines non seulement dans Descartes et Leibnitz, mais dans saint Thomas, dans Aristote et jusque dans Platon et Moïse.

La méthode de morcellement des matières suivie par l’auteur ajoute encore à l’obscurité de sa démonstration ; elle met en garde contre ses conclusions, dont on ne saisit pas bien l’enchainement avec les discussions ontologiques, psychologiques, physiologiques, critiques, qui ont précédé. Il semble que, dans une étude ayant pour objet la comparaison de l’homme et de l’animal, les premiers à consulter devraient être les naturalistes et les psychologues, et non les Pères de l’Église et les métaphysiciens de la Grèce. C’est pourtant d’après les définitions de tels auteurs qu’il juge et condamne les théories de Lamarck et de Darwin ; je ne parle pas de celles de Spencer, dont le nom, qui tient tant de place dans la science contemporaine, n’est pas une fois mentionné dans ce livre. En somme, qu’il s’agisse de donner la meilleure définition de la vie, des facultés, des propriétés, la meilleure classification des sciences, les principes et les preuves les plus acceptables de psychologie comparée, les deux critères universels auxquels M. Simoncelli s’en rapporte sont, d’abord l’opinion de saint Thomas, et ensuite « son propre sentiment », « son intime conviction ».

Nous aimerions mieux de bonnes et solides raisons puisées, faute de mieux, dans les recueils des naturalistes et des psychologues observateurs. Eux seuls pourront nous apprendre quelque chose de nouveau sur les rapports existant entre l’homme et l’animal. Mais expliquer par les lumières de saint Thomas les principes et les inductions, les hypothèses elles-mêmes de la science moderne, c’est tenter entre l’expérience progressive et la raison immuable une conciliation que saint Thomas lui-même aurait désavouée. Un pareil effort, quelque louable qu’il soit par la modération et l’érudition qu’on y apporte, ne peut profiter ni à la science ni à la métaphysique. Il passe à côté de l’une et de l’autre.

Bernard Perez.