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n’est point question d’abord d’irritabilité, mais d’irritation presque au sens littéral du mot. « Pourquoi les vaisseaux du fiel et le canal biliaire produisent-ils une excrétion plus abondante à certains moments qu’à certains autres, sinon parce qu’ils sont irrités (lui-même écrit le mot en italiques) par les purgatifs ou l’émétique ? Et pourraient-ils s’irriter de la sorte, s’ils étaient privés de tout sentiment ? Toute irritation suppose et révèle une perception : l’être provoqué, irrité, se réveille aussitôt pour repousser l’offense, ce qu’il ne pourrait faire s’il ne percevait jusqu’à un certain point ce qui le blesse. » Dans la suite de ce passage, on voit clairement combien Glisson est encore loin, à cette date, de l’irritabilité des modernes. Il s’applique en effet à établir que la sensibilité organique et le mouvement qui la manifeste supposent toujours la présence des nerfs ; or l’irritabilité, véritable autonomie vitale des tissus, consiste essentiellement dans leur indépendance à l’égard du système nerveux. On pourrait la définir une sensation sans nerf sensitif, donnant lieu à un mouvement sans nerf moteur. De plus, l’irritabilité est une propriété non des organes, mais des éléments anatomiques : Glisson attribue au contraire à l’organe entier cette irritation qu’il nous décrit.

Mais, dans le Traité de l’estomac, non seulement l’irritabilité est appelée par son nom, elle est dûment attribuée aux tissus, par exemple aux fibres du cœur (que Glisson croyait soustraites à action des nerfs), et étendue jusqu’aux os et aux sucs du corps. Il l’explique plus que jamais par la perception, l’appétition et le mouvement, mais il distingue avec soin trois degrés dans chacune de ces facultés, c’est-à-dire trois vies. À la perception du plus bas degré, ou purement naturelle, répondent l’appétition naturelle et le mouvement naturel ; et ces trois facultés ensemble constituent la vie générale de la nature. À la perception par les sens répondent l’appétit proprement dit et le mouvement instinctifs ; et l’on a la vie animale. Avec la perception réfléchie a lieu le vouloir, qui produit le mouvement libre : c’est la vie raisonnable. Dans chaque vie, le mouvement ne s’explique que par la tendance vers une fin, et la tendance ne serait pas possible, si plus ou moins clairement, la fin n’était perçue.

Ces vues étant le meilleur de sa métaphysique, nous les retrouverons dans le Traité de la substance, où il les développe à plaisir. Mais avant de passer à l’analyse de ce traité, sachant seulement que Leibnitz vint à Londres en janvier 1673, demandons-nous dès ici s’il est vraisemblable que la personne et les œuvres de ce vieillard illustre, membre de la Société Royale, grand médecin et métaphysicien profond, aient été absolument ignorées de lui. Son séjour à Londres fut de deux mois. Sociable et curieux de tout, comme il