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H. MARION. — françois glisson

était, on peut être sûr que son premier soin fut de rechercher le commerce des savants. Il se lia avec Collins et Oldenburg. par qui il communiqua indirectement avec Newton, alors à Cambridge. Il connut sans doute Boyle, dont il loue la philosophie[1]. Comment croire qu’il n’entra pas en relations avec la Société Royale, à laquelle il venait de dédier une théorie du mouvement ? Or il semble impossible que Glisson ne comptât point parmi les hommes considérables de cette compagnie, ou vécût isolé au point de passer inaperçu, dans une ville de 500,000 âmes seulement, comme Londres était alors. Si l’on en juge par son admiration pour Boyle, dont il vante souvent l’habileté à aller chercher la vérité « aux entrailles de la nature », on ne peut guère douter que Glisson ne fût du groupe de savants dans lequel Leibnitz fut introduit. Leibnitz peut donc l’avoir rencontré en personne : on a peine à admettre, en tout cas, qu’il n’ait pas au moins entendu parler de lui. Or, s’il a seulement su le titre du Traité de la substance, qui précisément venait de paraître, il l’a lu. En effet, que ne lisait-il pas ? Et tout ici ne devait-il pas l’attirer, occupé qu’il était déjà de ce même problème de la substance et de ces notions de force et de vie ?

Car bien qu’il r’ait alors que vingt-six ans et n’ait encore donné aucun écrit métaphysique, bien qu’il ne doive esquisser nettement sa théorie des monades que vers 1690 et l’achever qu’en 1714, déjà son dynamisme s’est clairement affirmé, en opposition au mécanisme de Descartes, dans sa Théorie du mouvement. Il y a établi, contre le dogme cartésien du continu, qu’il existe des indivisibles, et que les premiers éléments des corps sont inétendus, sans quoi le mouvement serait inintelligible. Un passage très remarquable[2] nous le montre même arrivé dès lors au spiritualisme absolu : « Tout corps est un esprit momentané ou manquant de souvenir. » Si bien que, à vrai dire, il semble être déjà en possession des éléments essentiels de sa métaphysique. Ces premières indications, d’autre part, sont si rapides, un si long temps passera avant qu’il les reprenne et les complète, qu’on reste assurément en droit de se demander si quelques-unes des additions si importantes qu’il y fera ne seraient pas dues en partie à l’influence de Glisson. Sa doctrine, en un mot, était, en 1672, assez ébauchée dans son esprit pour qu’il fût attentif à tout ce qui y ressemblait, non assez arrêtée pour échapper à toute action du dehors.

  1. De Ipsa Natura. Erdm., p. 155. I] nous apprend que ce physicien avait du même écrit un traité De Ipsa Natura.
  2. Theor. motus abstracti, pars 2, § 17. Dutens, t. II, pp. 39, 40 : « Omne enim corpus est mens momentanea seu carens recordatione. »