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qu’il sent, si la perception de l’organe externe n’est perçue à son tour par le sens commun. La sensation est donc une perception composée ou modifiée ; c’est la perception redoublée, c’est-à-dire distinguant et reconnaissant ses actes[1]. » — N’est-ce pas là en termes exprès la distinction leibnitienne des perceptions aperçues et des perceptions inaperçues ? La sensation, dit Leibnitz[2], est une perception qui a quelque chose de distingué et qui est accompagnée d’attention et de mémoire. »

Au temps de Glisson, la vertu plastique, qu’il attribue à la matière elle-même, était communément rapportée à l’âme sensitive, car petit était le nombre des esprits disposés à admettre le mécanisme de Descartes. C’était l’âme sensitive qui formait les organes et leur communiquait la vie. « Mais, demande Glisson, comment peut-il y avoir une âme sensitive là où il n’y a encore point de sens ? Dira-t-on que les organes sont en puissance dans les semences et que, en s’exerçant, elle les fait passer à l’acte ? Mais si elle les forme, comment se fait-il qu’elle les oublie à ce point ? Car les animaux ignorent absolument comment se font leurs organes. » Scaliger échappait à cette difficulté par une théorie analogue, semble-t-il, à celle de Stahl, vitaliste et animiste à la fois. Il admettait chez l’animal deux âmes : l’une, inhérente à la semence et qui n’en était que la forme, présidait à la vie organique par laquelle le corps s’accroit et se sépare ; l’autre venait habiter le « domicile » ainsi préparé pour la recevoir. La première, l’âme plastique ou formatrice, « était la plus sage des deux et la plus noble, puisqu’elle devait prévoir tous les besoins de l’autre, connaître la fin et la fonction de chaque parti, avoir le secret de la vie. » Or, Glisson admet chez l’homme une telle dualité, mais il la nie chez l’animal. Il croit à l’âme raisonnable, mais ne croit pas à l’âme sensitive. C’est la matière même, et non un principe distinct, qu’il donne comme source de la vie organique à tous ses degrés. Ce que Scaliger a bien vu, dit-il, c’est que la formation de l’animal est l’œuvre d’un principe substantiel, c’est qu’il y a une perception antérieure à celle des sens, à laquelle on doit rapporter toutes les merveilles dont on fait honneur à la nature ; c’est enfin que la nature prépare les voies à l’âme sensitive. Mais son tort est d’avoir cru deux âmes nécessaires, l’une qui forme le fœtus, l’autre qui vienne l’habiter : « car où s’en va donc la première et d’où vient la seconde ? Il n’y a, ce semble, entre les deux, qu’une différence de degré et de perfection ; et c’est la seconde qui est la plus parfaite. » D’ailleurs, et quoique la perception sensible ne soit que

  1. Ad. Lect., 11.
  2. De anima Brutorum, Erdm., p. 481. Cf, Monadol., 14, 23, 24, etc.