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suite elle est simple, et, faute de pouvoir s’élever au rang de perception composée ou redoublée, elle est incapable de discerner son objet, « elle n’a pas la joie d’en prendre une connaissance réfléchie. » Puis, tandis que les sens peuvent se porter d’un objet à an autre et jouir de la variété des choses, la perception naturelle ne saurait suspendre son action, ni se détourner de l’objet qui lui est offert ; par suite, elle ne peut présenter à l’appétit naturel que cet objet unique, sous le charme duquel elle est comme enchaînée : d’où il résulte qu’elle ne le lui présente jamais d’une manière qui laisse place à un choix. « Aussi dit-on que la nature est déterminée à une seule chose et agit nécessairement. Non qu’elle soit contrainte, mais elle opère d’une manière spontanée et nécessaire à la fois. Les sens, au contraire, présentent leur objet à l’appétit animal d’une façon plus parfaite et qui comporte quelque indifférence, c’est ce qui fait les bêtes capables d’une certaine discipline et susceptibles de peines et de récompenses. » Bref, Scaliger admire à bon droit la vertu de la nature, pour la connaissance simple mais infaillible qu’elle a de son objet, pour l’œuvre d’organisation qu’elle entreprend seule (αὐτοδιδακτος) et qu’elle mène à bien par les voies les plus courtes ; mais « cette organisatrice si sage, si prévoyante dans son étroit domaine, ne porte aucun jugement, n’exerce aucune action sur le dehors. Elle habite solitaire et reste enfermée en elle-même…[1] » Si l’on pouvait oublier un instant qu’il s’agit de la matière même du fœtus, à qui seule est attribuée cette vertu organisatrice, ne croirait-on pas, dans ce passage, reconnaître la description de la monade et jusqu’à l’harmonie préétablie ? Mais ce n’est que détachées de leur contexte que ces formules ont pu donner le change. La perception dont il s’agit est dite simple parce qu’elle n’est point redoublée par la réflexion, nullement parce qu’elle est attribuée à un sujet inétendu, ce qui n’est point ; et elle est dite enfermée en elle-même, comme bornée à la substance même de l’embryon, nullement comme soustraite à l’action du dehors. Glisson et si loin de songer à la monade close, qu’il admet, nous le verrons, la perception directe des objets par les sens, l’action directe de l’âme sur les choses, et non seulement la communication, mais jusqu’à la pénétration des substances.

Il est curieux de rapprocher les vues de Glisson sur la vie de celles des maitres de la physiologie contemporaine. Cl. Bernard ne les trouvait point à mépriser[2]. L’idée directrice en effet, qui selon lui

  1. Ad Lect., 14.
  2. Glisson était pour lui l’objet d’une sympathique curiosité. Il ne le connaissait d’abord que comme anatomiste, mais il avait appris avec intérêt l’existence du Traite de la Substance et attachait du prix à ce que l’étude en