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Le langage de Glisson, dans cette théorie de la vie, est, par endroits, assez matérialiste : il a grand soin de rappeler que « la matière et sa vie originelle ne sont, au fond, qu’une seule et même chose ; que la vie de la matière n’est autre chose que sa nature énergétique. » Mais, s’il est matérialiste en physiologie, c’est de la seule manière dont on puisse l’être quand on pense, c’est-à-dire à condition de mettre d’abord dans la matière tous Les attributs de l’esprit. Son apologie de la matière tourne à la gloire de la pensée, partout présente dans les choses, principe de toute activité, vrai fond de être. Car être et agir, c’est tout un ; or toute action suppose perception et appétition, puisque le mouvement implique tendance vers une fin et qu’il n’y aurait point de tendance vers ce qui ne serait aucunement perçu.

III

Il s’agit de montrer que non seulement la substance organique, mais toute substance sans distinction, vit par soi, a en soi la source de toutes ses opérations, possède par conséquent la perception, l’appétition et le mouvement. Pour cela, Glisson s’applique d’abord à tirer au clair les notions de substance et de cause, de matière et de forme.

En comptant quatre principes des choses, la matière, la forme, le moteur et la fin, Aristote n’avait fait qu’analyser, et, pour ainsi dire démembrer l’idée de cause, donnant quatre noms distincts aux quatre aspects sous lesquels notre esprit peut considérer l’être. Tout être subsiste avec une nature déterminée, selon laquelle il agit, c’est-à-dire se porte à certaines fins, plus ou moins nettement pressenties. En tant qu’il subsiste, on l’appelle substance : c’est la matière nue, qui n’est rien de déterminé ; les attributs essentiels qu’elle revêt dans telle ou telle espèce constituent la forme ; en tant qu’elle agit, elle est cause ou moteur ; et elle n’agirait point sans quelque fin où elle tend. La scolastique ne fit qu’accentuer la distinction entre ces divers concepts de l’être. Oubliant qu’Aristote les avait donnés pour unis dans le réel, quoique différents pour la pensée, à force de les considérer à part, on en vint à leur prêter une existence séparée. Un moment arriva où la grande difficulté fut de retrouver la réalité concrète disparue sous ces entités, ou plutôt dissoute et comme réduite en fumée par le travail de l’abstraction. Le problème de l’individuation, qui divisa si longtemps l’école et dont Leibnitz