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C. VIGUIER. — le sens de l’orientation

Quelle peut donc être la force physique, partout présente, aussi bien dans les hauteurs de l’atmosphère que dans la profondeur des flots, qui pourra diriger les légions errantes des animaux migrateurs ?

Il n’en existe, à mon avis, qu’une seule, celle qui nous sert aussi à diriger nos navires sur les mers : je veux dire le magnétisme terrestre. Cette idée, à laquelle je suis arrivé de mon côté, sans savoir qu’elle se fût présentée à d’autres, a cependant été publiée il y a quelques années déjà.

Dans l’article anonyme cité plus haut, et qui parut en octobre 1872 dans la Quarterly Review, se trouve le passage suivant : « Dans l’opinion de l’auteur, la théorie qui explique le mieux les faits avérés, est que les animaux en question ont un certain sens des courants magnétiques, qui suffit à leur fournir une sorte de boussole intérieure, marquant la direction dans laquelle ils voyagent. Nous savons que les courants magnétiques affectent l’aiguille aimantée ; et l’hypothèse qu’ils puissent aussi affecter des tissus vivants, organisés d’une façon spéciale, ne nous parait point incroyable ; tandis que le fait qu’un chien, qui peut retrouver sa route sur des centaines de milles en pays découvert, peut très bien se perdre à 500 yards de chez lui dans une ville, semble indiquer que la multitude de rues se croisant à angle droit, peut amener le trouble d’un sens qui ne fait qu’indiquer une direction en ligne droite. » Je reviendrai plus loin sur cette dernière idée.

L’auteur anonyme de l’article déjà cité du Quarterly Journal of Science dit aussi, à la suite du passage rapporté plus haut : « Un animal qui posséderait un sens magnétique, par exemple, pourrait, sans aucun effort mental, diriger sa course vers le nord ou le sud, et jouirait, en traversant des régions inconnues, de tous les avantages que nous tirons de l’usage de la boussole. »

Présentée sous cette forme incomplète, et sans du reste la moindre allusion à un organe déterminé, la théorie d’un sens magnétique ne pouvait manquer de soulever des oppositions ; et l’on comprend (que l’un des écrivains qui ont pris part à la polémique engagée dans the Nature[1] ait pu dire que ce sens ne servirait de rien à l’animal pour se transporter d’un point à un autre, s’il n’avait en même temps une carte pour lui indiquer la position relative des deux endroits. C’est la même idée qui est exprimée aussi par M. Darwin[2].

Cette objection est-elle donc insurmontable ? Je ne le pense pas. La boussole de déclinaison ne donne à nos marins qu’une simple di-

  1. J. T. — Nature, 20 mars 1873.
  2. Nature, 27 février 1873.