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H. MARION. — françois glisson

le plomb ne tomberait point, s’il n’avait une tendance à descendre[1]. La suppression de l’obstacle n’est donc pas la cause efficiente, mais tout au plus la cause sine qua non. Cela est si vrai, qu’on voit souvent les graves triompher eux-mêmes de l’obstacle. — L’axiome d’Aristote, vrai du mouvement violent, ne saurait donc prouver contre l’existence du mouvement spontané.

La même réponse vaut contre Descartes. Chez Descartes, la cause du mouvement est tantôt la matière même, tantôt et plus souvent Dieu. « Cela s’entend, s’il veut dire que Dieu a créé le mouvement avec et dans la matière, mais dépendant de la matière comme de sa cause seconde ; par exemple, qu’il a créé à la fois le soleil et la lumière, mais la lumière comme dépendante du soleil. Mais ajouter que « le mouvement n’est conservé que par le seul concours de Dieu », c’est, par ce terme : seul, exclure les causes secondes, c’est déclarer imparfaite l’œuvre de la création. »

Pour Descartes, la quantité de mouvement était constante : Glisson répond qu’en premier lieu cela est contestable, qu’en second lieu cela ne prouve rien contre la nature vitale de tout mouvement.

Certains mouvements, en effet, sont perpétuels, savoir : les mouvements naturels, comme la résistance, l’impénétrabilité, l’attraction, qui relie entre elles toutes les parties de la matière et grâce à laquelle il n’ÿ a point de vide ; puis les mouvements circulaires des corps célestes. Or, tous ces mouvements supposent dans la matière un nisus, décélant un principe de vie intérieur.

D’autres mouvements ne sont point perpétuels, mais ils prouvent tout autant la spontanéité vitale : même imprimés du dehors aux objets, ils trahissent toujours de la part du patient une réaction, une résistance à la violence, un effort pour se conserver, qui sont encore des signes de perception et d’appétition, des signes de vie.

Ici, Glisson s’efforce d’énumérer tous les mouvements des corps inanimés, qu’il croit pouvoir ranger en cinq classes : tentative naïve et confuse, qui ne vaut pas la peine d’être exposée. Toutes les propriétés de la matière lui sont autant de preuves de la vie universelle. Les cristaux, « qui imitent l’organisation, qui, pour une même espèce, affectent toujours la même forme, dont la délicatesse et la beauté défient notre art, » ne peuvent être le produit de causes externes, ils témoignent d’une vie immanente. De même et plus encore les combinaisons chimiques, qui révèlent les affinités plus profondes, intimiorem amicitiam, des éléments.

  1. C’est précisément une image dont se sert Leibnitz pour faire comprendre l’énergie intime de la monade : « Quod exemplis gravis suspensi funem sustienentem intendentis, aut arcus tensi, illustrari potest. »