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Glisson nie le vide comme Descartes et Leibnitz, n’admet ni espace vide en dehors des choses, ni pores vides dans les corps. Ce non-être absolu serait inutile et inintelligible. On y recourt pour expliquer la condensation et la raréfaction, mais il suffit d’admettre la pénétration des substances. Quand un corps se condense, ce n’est point que des vides qui étaient en lui se remplissent, c’est que « les parties extérieures rentrent dans les parties intérieures » ; et, quand un corps se raréfie, ce n’est pas qu’il s’y fait des vides, c’est que « les parties d’abord incluses les unes dans les autres sortent et occupent une place propre ». Le prétendu vide n’est qu’une extrême rareté de la matière dans un espace donné. — Mais, dira-t-on, les corps sont impénétrables. — Il est vrai ; les corps, étant des quantités actuelles, déterminées, se repoussent mutuellement de l’espace qu’ils occupent ; mais cela n’empêche pas les substances matérielles de se pénétrer, comme on le voit dans les combinaisons chimiques et dans l’assimilation des aliments[1].

Ainsi Glisson admet, au sens le plus rigoureux, la continuité de la matière. Quelle différence n’y a-t-il pas entre cette continuité toute physique, qui est l’absence de parties réelles actuellement distinctes, et la continuité métaphysique de Leibnitz, faite de la multitude des monades, dont chacune est un monde clos ?

Cette conception du continu met Glisson à l’aise pour résoudre le problème de la divisibilité à l’infini. D’une part, dit-il, toute quantité donnée est divisible à l’infini, car les parties d’une quantité sont toujours des quantités, les parties d’un corps sont toujours des corps, et tout corps, toute quantité est divisible. D’autre part, il est contradictoire qu’une quantité donnée contienne une infinité de parties, car une quantité donnée est un tout, une somme achevée. Elle ne peut comprendre un nombre infini de parties actuelles, puisque le nombre infini ne peut être réalisé. Glisson insiste très fortement sur cette idée que « le nombre infini est impossible et inintelligible ». Une portion de la matière ne peut donc sans contraction être conçue comme composée d’une infinité de parties. Il faut bien entendre, en effet, que l’infini numérique, l’infini dans ordre de la quantité discrète « est extérieur à tout nombre donné », et fuit au delà, en un mot n’est point actuel, tandis que l’infinité de parties qu’on imagine dans une réalité concrète, lui étant « intérieure », est donnée avec elle, enfermée en elle, et serait par conséquent un infini achevé.

Comment donc concilier la thèse et l’antithèse ? Pour Glisson, la divisibilité à l’infini est certaine, mais elle n’implique nullement la

  1. Cf. Leibn., De vera methodo, Erdm., p. 111 : « Il n’est pas encore prouvé que la nature ne comporte point de pénétration des corps. »