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de meilleures pour désigner ses monades : « Il n’y a que les atomes de substance, c’est-à-dire les unités réelles et absolument destituées de parties, qui soient les sources des actions. On les pourrait appeler points métaphysiques : ils ont quelque chose de vital et une espèce de perception ; et les points mathématiques sont leurs points de vue pour exprimer l’univers[1]. »

V

Tel est l’ouvrage de Glisson : j’en ai reproduit fidèlement l’esprit et, autant que possible, les termes. On peut juger maintenant des rapports de cette métaphysique avec la doctrine de Leibnitz..

Leibnitz et Glisson professent de même : que la substance existe par soi, « sauf la dépendance de Dieu, » et a en soi le principe de ses actions ; que, source de mouvement, elle est douée de perception et d’appétition, c’est-à-dire de vie ; qu’un monde où tout est vie, c’est-à-dire spontanéité et finalité, est plus digne de Dieu et, loin de porter atteinte à ses perfections, en est l’image. Tous deux distinguent trois degrés dans la perception (perception naturelle ou inaperçue, perception sensible, réflexion) et trois degrés correspondants dans l’appétition et dans l’action, en un mot trois vies superposées : vie naturelle, vie animale, vie humaine. Ajoutons des analogies moins étroites : l’un et l’autre voient dans la vie organique l’acte même de la substance sous une pensée directrice, rejetant aussi bien le pur mécanisme de Descartes que les forces plastiques et les archées. L’un et l’autre nient le vide et les atomes, admettent le continu et la divisibilité à l’infini.

En tout cela donc, Leibnitz n’est pas entièrement original : qui s’en étonnerait ? Son système pas plus que tout autre ne pouvait apparaître ex nihilo, sans antécédents ni attaches historiques. Mais il n’est nullement évident qu’il ait emprunté à Glisson même ces points de doctrine qui leur sont communs. Pourquoi n’auraient-ils pas puisé chacun de leur côté aux mêmes sources ? L’antiquité et la scolastique leur sont également familières ; ils sont au fait, l’un et l’autre, de toute la science et la philosophie moderne, en Italie, en France, en Angleterre. Depuis l’antique hylozoïsme, par la théorie platonicienne de l’âme du monde, par la métaphysique d’Aristote, le panthéisme stoïcien, la philosophie d’Alexandrie, celle des Arabes, la

  1. Erdm., p. 196…, voy. aussi p. 124, 168, etc.