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un anneau de la chaîne qui va d’Héraclite à M. Herbert Spencer plutôt que de celle qui relie à l’idéalisme ancien l’idéalisme des modernes.

Autre est le tempérament de Leibnitz. Allemand, théologien, mathématicien, moraliste, sa métaphysique est le spiritualisme le plus décidé qui fût jamais, l’immatérialisme absolu. Loin de faire sortir la forme, la force, la vie et la pensée du sein de la matière, il tend tout d’abord à faire évanouir la matière au profit de la forme et de la force, de la vie et de la pensée. Il n’y a pour lui que des esprits de différents degrés, une hiérarchie d’âmes. À vingt-cinq ans, il écrivait déjà cette parole prodigieuse : « Le corps est une pensée momentanée ou dénuée de souvenir. » À la fin de sa vie il écrit au P. des Bosses : « La matière n’est qu’une apparence cohérente… un ensemble de phénomènes bien liés (apparentiam cohœrentem,… phœmomena bene fundata. » L’étendue n’est que l’illusion des monades se percevant les unes les autres confusément.

La monade inétendue, l’harmonie préétablie, voilà ce qui caractérise la philosophie de Leibnitz et lui est propre. Non que ces conceptions n’aient pu, elles aussi, lui être suggérées : le mot monade est dans G. Bruno et vient de l’antiquité ; l’harmonie préétablie a des rapports connus avec les causes occasionnelles de Malebranche. Mais ce qui certain, c’est que rien de pareil ne se trouve chez Glisson. On se demande comment M. Cousin a pu s’y tromper au point d’écrire : « La monadologie est dans Glisson, et exposée d’une telle façon que nous ne voyons pas ce que Leibnitz a eu besoin d’y ajouter. Elle s’y montre le plus souvent extrême, absolue, systématique, telle que Leibnitz l’a présentée. Glisson s’efforce de constituer molem substantialem sans sortir de l’essence et de la force ; mais il n’y parvient pas plus que Leibnitz et se paye de faux semblants. Glisson est arrivé au même résultat que Leibnitz, à savoir que toute substance est solitaire,… la monadologie la conduit, lui aussi, à l’exclusion de toute action réciproque des substances les unes sur les autres, c’est-à-dire à l’harmonie préétablie. » — Autant d’affirmations, autant de malentendus.

Non, Glisson n’a conçu ni la monade, ni l’harmonie préétablie. Quand il dit que la substance est simple, il l’entend de la substance en général, de l’idée abstraite de substance, nullement d’une réalité concrète et individuelle, élément simple de la matière composée. Quand il parle de points substantiels, c’est comme d’une chimère et d’une conception contradictoire. Quand il dit que la perception naturelle est enfermée en elle-même, que la substance ne perçoit rien hors d’elle, il parle de la matière du fœtus et oppose simplement la