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Nous nous étendîmes, littéralement anéantis, sur les bancs de l’hôtel. Notre soif était maintenant inextinguible. Pendant la nuit nous absorbâmes je ne sais combien de carafes de cette eau des montagnes délicieuse et subtile ; nous étions métamorphosés en filtres.

En déjeunant, nous causons avec des gens de l’endroit et des touristes expérimentés. Ils nous conseillèrent de ne jamais, une fois en marche, céder à la soif ; que, si la bouche devenait absolument trop sèche et trop brûlante, on devait se contenter de la rincer sans boire. D’ailleurs Bædeker faisait une recommandation analogue. On a toujours tort de ne pas lire suffisamment bien son guide.

Nous suivîmes ces conseils, et nous nous en trouvâmes bien. Depuis ce jour, nous sûmes résister aux perfides tentations des sources séductrices ; la soif restait modérée, même sous un soleil torride, et nous arrivions à notre but, sans trop de fatigue, au bout du temps assigné.

Cet exemple nous montre la différence entre l’organique et le psychique, entre l’acte spontané et l’acte libre.

Ce qui nous portait à boire, c’est la soif. Qu’est-ce que la soif ? Quel en est le siège ? Quelle en est la cause ? Ces questions ne nous touchent en rien. Qu’elles soient résolues ou non, la soif n’en continuera pas moins à donner envie de boire. Raisonne-t-on sa soif ? En aucune façon ; on a soif, peu importe le pourquoi. Transpiration, fièvre, sel ou épices, la cause est indifférente, il suffit que l’effet se fasse sentir.

Mais voilà que nous nous mettons à résister à la soif. Ah ! maintenant, notre conscience nous éclaire pleinement sur les motifs de notre sobriété : nous n’avons pas eu à nous féliciter d’avoir, dans telle et telle excursion, cédé au désir de boire ; les gens expérimentés, habitants du pays ou touristes exercés, nous ont donné le conseil de dominer la soif ; le guide a consigné le même précepte parmi ceux qu’il donne aux voyageurs ; la science, à son tour, nous fait voir comme quoi la trop grande absorption de liquide est bientôt suivie, dans un air vif et sous les rayons du soleil, du relâchement de tous les pores, et qu’ainsi l’évaporation va croissant. — Dans tous ces motifs, il n’y a rien de directement organique. Ils s’adressent en tout premier lieu à l’intelligence ; on peut les discuter, les réfuter, les repousser. C’est à ce titre que nous les appelons psychiques, uniquement pour les distinguer des impulsions organiques, qui sont au-dessus de toute discussion, de toute réfutation, de toute négation, et souvent de toute explication.

Nous tenons ici le principe de la différence entre les actes spontanés et les actes libres. Les actes spontanés sont dictés par des