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calcaire ou la silice des eaux qu’il habite pour s’en construire une carapace aussi élégante que confortable, fait en petit ce que nous faisons en grand quand du sein de la terre nous tirons du sable, des pierres, des minerais pour bâtir nos demeures. La frigane se fabrique un petit étui dans lequel elle trouve à la fois protection et soutien. Sur la surface des mers, on voit l’argonaute élever sa gracieuse nacelle et voguer à pleines voiles. L’abeille édifie ses rayons ; le renard se creuse une tanière ; le castor élève ses digues. Du bas en haut de l’échelle, chaque animal s’ingénie à accaparer ce qui lui convient le mieux des choses du dehors. Par là, il modifie dans la mesure de ses moyens la face du globe ; et donnez-lui le nombre et le temps, l’imagination restera stupéfaite devant l’immensité de l’œuvre accomplie.

D’imperceptibles polypes ont formé des îles et des archipels entiers, redoutables aux navigateurs. Des organismes microscopiques, par leurs carapaces accumulées, ont formé çà et là d’épaisses couches de tripoli et d’immenses bancs de craie de plusieurs centaines de mètres d’épaisseur, élevé des montagnes, et comblé d’incalculables profondeurs dans les abîmes de l’océan. Les continents eux-mêmes sont en partie leur ouvrage. En entassant sur le fond des mers des kilomètres en hauteur de débris solides, ils ont déplacé les eaux et soulevé les rivages[1].

Voilà des effets géologiques ou, pour employen une expression plus exacte, géogéniques.

Parlerons-nous après cela des relations entre les insectes et les plantes ? Ici, utiles auxiliaires, ils aident à la fécondation des végétaux, diversifient la flore et créent indirectement les couleurs séduisantes dont les fleurs se parent pour les attirer. Là, destructeurs impitoyables, ils dépouillent des contrées entières de leur verdure. Voyez les ravages des sauterelles ! Voyez ce que le phylloxera menace de faire de la France et peut-être de l’Europe vinicole !

Mentionnerons-nous les rapports entre les oiseaux et les graines et les fruits à noyaux, qui nous ont valu ces pulpes succulentes qui flatient notre goût tout en nous offrant une alimentation saine et, dans certaines contrées, suffisante ?

Dernièrement, Darwin nous exposait le rôle considérable que

  1. Peut-être l’action des êtres libres s’étend-elle bien plus loin encore qu’on ne se le figure. Peut-être, si nos moyens d’investigation le permettaient, en retrouverait-on la trace jusqu’au sein de la terre. M. le docteur Hahn (Die Miteorile und ihre Organismen) ne vient-il pas de démontrer que les aérolithes se composent d’organismes : coraux, éponges, foraminifères, et le Dr Weinland a confirmé ses observations microscopiques (voir Kölnische Zeitung, 2 mai 1882.