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sur l’avenir. Il n’est donc pas possible — quoi qu’en pense le mécanisme — d’expliquer tout le passé, pas plus qu’il n’est possible de prévoir tout l’avenir. D’où la division des sciences en deux groupes : les sciences positives et les sciences conjecturales. Ces dernières ont pour objet tout ce qui dépend de la liberté. L’histoire est une science conjecturale. La certitude absolue à l’égard des causes des événements passés n’est pas à sa portée. Les sciences morales, politiques et sociales qui essayent de fixer les lois des actions humaines, et par là de régler l’avenir, sont incertaines, chancelantes et toujours à refaire. Mais il est encore d’autres sciences qui rentrent dans cette catégorie et que d’habitude on classe dans la première division. Telles sont la géologie, dans sa partie géogénique, la physiologie, l’embryogénie. En tant que sciences de faits, on peut les ranger parmi les sciences positives. Mais quand elles font de la théorie ou de l’histoire, elles ne doivent pas perdre de vue que les animaux ont joué un rôle considérable dans la formation des terrains, et qu’ils sont probablement, comme nous le verrons bientôt, les créateurs de leurs propres organes. Car la liberté se fixe dans les habitudes et les instincts, et par suite, dans l’organisme.

À cet égard, s’il n’y a pas et ne peut y avoir de science, proprement dite, de la liberté en action, il y a une science d’une certaine classe, de résultats obtenus par elle. Tel est le domaine de la biologie.

IV

L’avenir des êtres libres.

J’ai fait plus haut l’exposé des destinées de l’univers physique. Il me resterait à tenter de tracer une esquisse de l’avenir réservé aux êtres libres. Ce sera là quitter le terrain de la science positive pour s’aventurer sur celui de la spéculation. Mais il est impossible de rester indifférent et muet devant les sombres oracles de la thermodynamique. Il doit nous être permis de discuter ses arrêts et de chercher à nous rassurer sur notre sort futur. Et quand je dis notre sort, je n’entends pas celui de l’espèce humaine, sous son aspect actuel ; j’entends par là le sort de la sensibilité, de l’intelligence et de la liberté, dans quelque espèce qu’elles doivent un jour être incarnées.

Ce chapitre, qui clôt le présent travail sur la liberté, est aussi, à bien des égards, le complément de mes études sur le sommeil et les