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ne pouvait qu’être battu dans la guerre d’Espagne parce que là la conception générale avait faibli. Ainsi, si Louis XIV n’avait point voulu si persévéramment la grandeur de la monarchie, ni Colbert ni Louvois n’eussent pu accomplir leurs tâches ; Turenne et Condé eussent continué à se battre l’un contre l’autre, et peut-être n’eussent-ils pas plus fait pour leur gloire et celle de leur pays qui n’avaient fait, au siècle précédent, les Guise. Illustres aventuriers, « adroits, superbes, si brillants d’esprit, d’audace et de séduction, si élégants et si imposants, que les autres princes paraissaient peuple auprès d’eux, » les Guise, disent tous les historiens, se complétaient les uns par les autres : « François, grand capitaine, d’une force d’âme extraordinaire, magnanime dans le succès, implacable et féroce dans le péril ; Charles, unissant tous les talents à tous les vices compatibles avec l’hypocrisie, savant, spirituel, politique subtil, orateur éloquent, etc. » Et ces hommes n’ont point réussi, somme toute, à faire de grandes choses. Aucun d’eux n’a pu grouper leurs forces autour d’un beau dessein, et nul, de leur temps, n’a su préparer à leur ambitions ce milieu que trouvèrent sous Henri IV, sous Richelieu et sous Louis XIV les généraux et les ministres célèbres, qui les suivirent.

Telle est donc l’unité qu’un grand homme sait donner aux efforts qu’il obtient ; telle est cette influence si puissante et si bienfaisante que parfois ceux qui l’acceptent, y trouvent les moyens de s’élever eux-mêmes jusqu’au génie et à la gloire. Mais ceci, dira-t-on, n’est-il pas réservé aux hommes d’action ? Les savants et les philosophes qui concilient entre eux tant de systèmes, les artistes qui empruntent tout à la fois à leurs devanciers et & leur contemporains, ont-ils tant de mérite ? Les lieutenants ont leurs ambitions particulières ; leurs rivalités pour être apaisées, leurs résistances pour être domptées, exigent donc la séduction d’une gloire éclatante à partager en commun ; mais les idées ne résistent pas, et les systèmes se laissent faire ! — Est-ce bien sûr ? Pour concilier vraiment deux théories qui semblent contradictoires, il faut en trouver une troisième qui comble les vides laissés entre les deux autres. Si l’œuvre était si facile, elle serait faite plus souvent, avec plus de succès et par plus de métaphysiciens. Mais les idées abstraites, pas plus que les efforts concrets et vivants, ne se réunissent et ne se groupent par une sorte d’attraction mécanique inévitable. L’astronome Picard fixe avec exactitude une mesure astronomique. Toute la Société royale de Londres entend la communication et la loue, mais ne voit rien dans cette mesure que la mesure elle-même. Newton s’en étonne, la médite et y trouve une confirma-