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quent. Cette portion, c’est un germe ; mais ce ne saurait être un germe semblable à ceux qui se développent pour continuer simplement l’espèce ; il devrait en différer dès l’origine, puisqu’il se développe en un être différent. Les physiologistes distinguent déjà deux sortes de germes, le bourgeon, et l’œuf ou la graine ; le bourgeon se forme par le simple développement d’un groupe de cellules préexistantes de la tige, qui travaillent plus que les autres et dont l’ensemble s’individualise et par sa séparation devient un être presque en tout semblable à l’être maternel. En se multipliant de la sorte, la plante ne produit aucun type nouveau. S’il s’agit au contraire de produire de nouveaux types, des variétés distinctes, c’est-à-dire des individualités d’ordre inférieur à l’espèce, mais supérieur aux individus ordinaires, le problème étant changé, les moyens changent ; le but étant plus complexe et d’ordre plus élevé, les moyens seront plus complexes ; il faudra l’édifice singulier de la graine, et de la fleur destinée à former la graine et l’embryon, Les moyens simples de nutrition du bourgeon sont remplacés par des moyens nouveaux, en même temps que le système entier de la reproduction. La nature marque elle-même ce qu’il lui en coûte pour former du neuf véritable,

Eh bien, quand il faudra produire une espèce nouvelle, individualité indépendante aussi différente de la variété que celle-ci peut l’être de l’individu dont elle procède, l’analogie stricte nous dit que nous verrons s’organiser un nouveau mode de reproduction, plus étendu et plus complexe que celui de la graine, et qui amènera la formation de germes d’espèce ; on pourrait les nommer aussi germes telluriques, comme l’auteur le faisait d’abord, en raison des relations probables entre leur apparition et l’histoire de la terre.

Admettant l’existence des germes d’espèce sur la foi de l’analogie, comment se développeront-ils ? — Deux cas sont possibles : le germe primitif se développe aux dépends de l’organisme auquel il doit le premier rudiment de son existence, ou bien, abandonné à lui-même, il tire sa substance du dehors.

La première supposition, développée par M. Kölliker l’an 1864[1] en

  1. Le travail de M. Kölliker, Ueber die Darwinsche Schöpfungs-Theorie, a paru dans la Zeischrift für wissenschaftliche Zoologie (t.  XIV, pp. 174-186). Dans ce discours, prononcé devant la Société de physique et de médecine de Würzbourg, l’auteur discute les objections au système de Darwin proposées avant lui. Il reproche surtout à Darwin une tendance téléologique dont il semble s’exagérer la portée. À ce point de vue utilitaire, il oppose l’idée plutôt esthétique d’un grand plan de développement qui pousse les formes simples primitives à une complication progressive. Après avoir écarté sans discussion l’hypothèse vulgaire d’une apparition soudaine d’organismes adultes, et réfuté brièvement celle de la génération spontanée, suivant laquelle chaque espèce d’organisme sortirait de son germe spécial d’une manière indépendante, il groupe sous le nom de création par génération secondaire la théorie de Darwin et celle qu’il professe d’une manière assez réservée en son propre nom, L’idée fondamentale de cette dernière est que, sous l’influence d’une