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donnés, et se traduire même en bouleversements périodiques. Un être qui vivrait quelques semaines et qui durant ce temps ne verrait que des hommes d’âge mûr se douterait-il de la naissance et de la mort ? Nous voyons cependant le développement des êtres s’accomplir à travers de pareilles crises, et cela ne nous empêche pas de croire à l’unité des causes de la vie physique. Pourquoi n’y aurait-il pas aussi dans le développement des espèces et dans celui de la terre elle-même des périodes de transformation et de renouvellement ?

Deux grands motifs, l’un expérimental, l’autre théorique, persuadent l’auteur qu’il en est effectivement ainsi.

« Le motif expérimental, c’est que la structure du sol et les débris qu’il renferme parlent immédiatement en faveur de révolutions successives et de brusques transformations, de sorte qu’il devient nécessaire de faire intervenir de nombreuses inconnues et de remplir avec imagination de nombreuses pages blanches, pour adapter tolérablement les faits à l’hypothèse d’un développement insensible. » Elle exige entre autres un temps si long qu’on peut se demander très sérieusement si la période de refroidissement du globe depuis le moment où il commença d’être habitable suffirait à l’évolution darwinienne.

L’argument spéculatif en faveur d’un développement graduel interrompu par des crises de renouvellement se tire du principe expérimental provisoire de l’économie des moyens, combiné avec la notion semi expérimentale du progrès.

« L’ensemble des organes dans chaque être particulier et l’ensemble des existences dans le monde visible sont évidemment soumis à des lois d’harmonie qui seules rendent possible le fonctionnement de la totalité. Si, pour amener le progrès, quelques éléments essentiels doivent apparaître ou changer, toute une série de modifications coordonnées devront changer en même temps. Or, dans le cas où ces changements auraient lieu par gradations insensibles à travers toutes les formes intermédiaires, la nature se traînerait d’un type à l’autre, d’un état harmonique à un autre état harmonique à travers de nombreux intermédiaires imparfaits et des temps sans fin. Le principe de l’économie des moyens appliqué au temps, moyen général du progrès, conduirait donc à l’idée d’un développement hâté par des transformations brusques. Il m’est impossible de ne pas voir cette loi écrite partout dans la nature et dans l’histoire, en caractères de douleur et d’espérance, de mort et de renouvellement. »

Après de longues périodes tranquilles, il surviendrait donc des époques de crise.

« Mais l’ébranlement ne se produit pas partout avec la même intensité… Dans une seule région, différente d’une époque palingénésique à l’autre, la crise en atteint la plénitude. Dans cette région de combat, au milieu des changements violents qui surviennent dans la nature morte, la plupart des espèces animales et végétales sont détruites ; quelques-unes s’étaient déjà éteintes spontanément dans