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notices bibliographiques

à la philosophie par les qualités d’esprit de l’auteur, dont la méthode est sobre et claire, les idées élevées, le jugement net et impartial, L’intention même qui a inspiré le livre lui est une sûre recommandation auprès des lecteurs philosophes ; si l’auteur a pris la plume, c’est pour une noble cause et un grand but : l’affranchissement, la diffusion de l’enseignement. Je m’arrête ici pour faire une légère critique à l’auteur : on peut regretter, pour ma part du moins je regrette, qu’il ait fait ici d’une qualité un défaut, en restreignant un peu trop son sujet. Son livre porte ce titre : L’enseignement public à notre époque ; et le livre ne me paraît pas tenir tout ce que le titre promet.

En effet, M. Fornelli n’envisage pas ici l’enseignement dans son universalité, dans ses divisions essentielles, mais seulement dans ses rapports tout extérieurs avec la politique et l’ordre social. Uniquement préoccupé du danger qu’il y a à laisser sans instruction les masses appelées à participer au gouvernement, il oublie un peu trop l’enseignement secondaire et supérieur, celui qui forme les classes dirigeantes, qui exercent la première influence sur les destinées d’un pays ; il se confine dans le point de vue strict de l’enseignement populaire, de l’instruction primaire, ou, comme on dirait chez nous, de l’école. Mais il excelle à faire l’historique et à poser l’état de la question, à discuter les progrès à accomplir, à indiquer les réformes actuellement possibles, les obstacles à vaincre, les limites et les droits à respecter. Son livre, qui n’est pas à mettre à côté des ouvrages spéculatifs des Bain et des Herbert Spencer, ni même des ouvrages semi-théoriques de MM. Hippeau, Michel Bréal, Robin, etc., peut être lu avec fruit, même quand on connaît les livres spéciaux de M. de Laveleye, de M. Ferneuil, et les rapports pédagogiques de M. Buisson. Comment l’enseignement a été compris par les réformateurs protestants et les réformateurs politiques ; ce qu’il a été, ce qu’il est de nos jours en Allemagne, en Belgique, en France, en Italie, aux États-Unis ; ce que ses progrès doivent et devront à l’individualisme, au système d’association, à l’ingérence des municipalités et de l’État ; ce qu’il faut penser de l’obligation, de la gratuité, de la laïcité de l’instruction ; enfin, pourquoi l’Italie se trouve particulièrement dans des conditions favorables pour atteindre, au moyen de l’instruction, la laïcité de la société : ce sont là, on ne peut plus sommairement indiquées, les principales questions que M. N. Fornelli traite après tant d’autres, mais avec une heureuse compétence.

Je finis comme j’ai commencé : ce ne sont pas les mérites philosophiques du livre lui-même, mais les qualités philosophiques de l’auteur, qui m’ont engagé à recommander L’enseignement public à notre époque. Au surplus, est-il philosophe, de profession où de tendance, qui puisse aujourd’hui, surtout chez nous, se désintéresser des questions d’enseignement public ? Et celles-ci ne touchent-elles pas de très près au problème de l’éducation, dont les philosophes se sont montrés soucieux dans tous les temps ?


Bernard Perez.