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obnubilation soudaine et temporaire. Dans le cas, au contraire, où nous admettons un organe sensoriel particulier, il peut être soumis à des illusions passagères, tout comme l’œil et l’oreille. Une simple congestion momentanée peut suffire pour troubler son fonctionnement : et l’on sait de quel sentiment de malaise et d’anxiété s’accompagnent d’ordinaire les sensations subjectives de la vue et de l’ouïe[1].

II

De tout ce qui précède, on peut conclure qu’il existe, non seulement chez les animaux, mais même chez l’homme, un véritable sens d’orientation ou de direction ; sens dont l’acuité varie très grandement suivant les sujets, et qui a sans doute pour siège un organe aussi distinct que celui de la vue ou de l’ouïe.

Je crois avoir démontré également que le magnétisme terrestre pourrait suffire à nous donner toutes les indications nécessaires pour retrouver un point donné. Et il ne saurait, en tout cas, y avoir rien d’absurde à admettre que nous possédons un organe capable de recueillir les mouvements magnétiques, comme l’œil recueille les vibrations lumineuses. Il ne s’agirait donc. plus que de déterminer l’organe qui remplit les conditions indispensables pour recueillir toutes les variations des influences magnétiques ; et cet organe, je pense qu’on doit le chercher dans les canaux semi-circulaires de l’oreille interne.

Si l’on peut considérer comme démontré par les recherches de Flourens et de ses successeurs, que les canaux ne font point réellement partie de l’oreille ; et que le nerf auditif se compose bien, en réalité, de deux nerfs distincts, dont l’un seulement, celui qui se rend au limaçon, joue un rôle dans l’audition[2] ; par contre, les divers

  1. M. Romanes (Nature, 7 août) invoque, comme autre argument en faveur d’un sens distinct, que ce sens, comme tous les autres, serait perfectible par l’exercice, et pourrait demeurer absolument latent et sans usage, jusqu’à ce qu’on le développe de la sorte. Ceci paraît justifié dans une certaine mesure par M. Howitt, qui écrit (Nuture, 21 août) que les bushmen australiens, et lui-même, ont ce sens plus développé que les sauvages. Ce serait en grande partie, dit-il, une affaire d’acquisition ; et une partie du processus se présenterait même, d’une manière consciente, à la mémoire. Il y a toutefois lieu de rester sur la réserve, puisqu’il attribue cette faculté à une mémoire exacte. Il est, en tout cas, difficile d’affirmer, avec M. Romanes, que le dressage des pigeons voyageurs a pour effet de développer ce sens, puisque ce dressage, comme nous le verrons plus loin, se fait à la vue ; et que des pigeons, fort bien entrainés ainsi, peuvent se perdre si leur sens de direction.
  2. Cette proposition est maintenant admise par les physiologistes aussi bien que par les anatomistes, qui ont constaté que les deux parties de ce nerf ont